Nouveau médiateur pour le
Vanuatu.
Madame Ferrieux-Patterson remplacée par un "copain" ?
Le médiateur sortant de la République de Vanuatu, Marie-Noëlle Ferrieux-Patterson, n'a pas été reconduite dans ses fonctions et est remplacée par un originaire de l'île d'Ambae. C'est le Président John Bani qui en a fait l'annonce le 12 août en désignant M. Hannington Alatoa comme successeur de celle qui fut la première à pourvoir ce poste entre 1994 et 1999.
Au cours de son mandat et avec un courage qui fut admiré dans le monde entier (même le Wall Street Journal lui consacra un article à sa "Une"), Mme Ferrieux-Patterson (une Française d'origine naturalisée citoyenne de Vanuatu) a mené une série d'enquêtes et publié de nombreux rapports impliquant les plus hautes personnalités de l'Etat du Vanuatu dans des affaires de corruption, de malversations, de détournements de fonds et de mauvaise administration, comme le lui dictait son mandat. Dans un communiqué, Mme Patterson évoque par ailleurs des tentatives de poursuites judiciaires lancées début juillet à son encontre par le bureau du procureur pour une supposée « atteinte au code de conduite des dirigeants », ceci afin de la disqualifier à sa propre succession. Mme Patterson nie les accusations portées contre elle et s'étonne « pourquoi le nouveau médiateur a été nommé. Je sais qu'il existait un comité de sélection et que le Président a conduit des entretiens avec d'autres candidats. Je n'ai pas pour ma part fait l'objet d'aucun entretien. [Le nouveau médiateur] bien moins qualifié et expérimenté a été nommé selon d'autres critères ». Mme Patterson déplore par ailleurs qu'à l'annonce de la nomination de son remplaçant, des jubilations raciste, contraires à l'esprit et à la lettre de la constitution de Vanuatu, aient été publiées par la presse locale. Que la mise à l'écart de Mme Patterson et la nomination "d'un des leurs" furent des actes de vengeance (et de survie) de la part de la classe politique corrompue a rapidement été confirmé : pas moins d'une semaine après sa nomination, le nouveau médiateur, M. Hunnington Alatoaa plaidait non coupable face à des accusations de détournement de fonds portées à son encontre par la justice du Vanuatu où il est accusé par le procureur général d'avoir détourné en avril 1998 des fonds de la Banque de Développement de Vanuatu (BDV) alors qu'il en était le directeur général adjoint. Le procureur général, Mme Heather Lini, a d'ailleurs regretté qu'avant la nomination de M. Alatoa, « ses services n'aient pas été sollicités pour avis sur l'état du casier judiciaire de celui qui n'était alors que candidat ».
Palmarès étonnant
La fin du mandat de la première médiatrice du Vanuatu permet de faire le bilan de ces travaux. Et ce bilan est impressionnant : d'abord par des enquêtes et actions qui ont certainement sauvé le pays de la faillite, notamment en 1995 l'affaire des "Lettres de crédit" de 10 millions de dollars , des bons de caisse de 10 milliards Fcfp garantis par l'Etat et remis à un escroc international par le Premier ministre Maxime Carlot (*) et son ministre des Finances Jimmy Willie. Malgré les obstructions de la part des leaders politiques, Madame Patterson réussit à récupérer ces lettres de crédit avec l'aide de Scotland Yard et Interpol. Ensuite, pendant 5 ans, une interminable série d'enquêtes et publication révéla comment, pour son compte personnel et celui de ses "copains", une grande partie de la classe dirigeante mena un véritable pillage des ressources et des caisses du pays : l'octroi de prêts par le fonds de retraite aux familles des ministres, prêts jamais remboursés et qui mirent la caisse au bord de la faillite (ce qui déclencha des émeutes en 1998) ; la distribution de maisons sociales à leurs familles et "copains", le pillage de la caisse agricole, du centre d'élevage, de la société nationale de navigation ; la nomination d'escrocs asiatiques en tant que consuls à qui l'on confia la vente de passeports ni-vanuatu (lire encadré) ; la nomination à des postes clés de l'administration de "copains" escrocs fraîchement sortis de prison, etc. Mais il y a pire, tel la divulgation de la preuve que les fonds de l'aide française au Vanuatu pour la reconstruction des dégâts du cyclone de 1994 avaient été détournés sur un compte privé du Premier-ministre Maxime Carlot Korman pour son usage personnel ; le viol d'une femme par un ministre dans les locaux gouvernementaux, etc, etc.
Mme Patterson a aussi été reconnue par sa combativité vis-à-vis des personnes mis en accusation par ses rapports d'abus de pouvoir et de corruption. Nombreuses ont été leurs contre-attaques en justice, essayant de l'empêcher de publier ses rapports, l'accusant à son tour « d'excès de pouvoir ». Le fait qu'elle soit d'origine européenne lui a été constamment reproché, notamment par le Premier-ministre Serge Vohor qui déclara que « les peuples indigènes devraient gérer leur propre pays et ne pas permettre à des "anciens colonisateurs" de s'occuper de leur avenirÉ qu'il ne permettrait pas à des gens avec des idées coloniales de dicter aux ni-vanuatu ce qui est bien ou mal », des propos racistes repris par la suite de façon bien plus virulente par le père Leymang (lire TPM n°81, janv.98). Seul M. Vohor s'excusa d'avoir tenu de tels propos. Le fait qu'elle soit une femme a aussi été utilisé pour tenter de la bâillonner, notamment par le ministre Barak Sope qui, au perchoir du Parlement, exigea la révocation de Marie-Noëlle Patterson sous prétexte que « les coutumes et traditions de Vanuatu interdisent aux femmes de critiquer les hommes ». Le Parlement révoqua ainsi la loi instaurant la fonction de médiateur. Pratiquement tous les membres du Parlement qui votèrent en sa faveur avaient été impliqués dans des affaires de corruption ou abus de pouvoir dénoncés dans les rapports. Heureusement, le président Lenelclau refusa de donner son aval et renvoya le projet de loi à la Cour suprême pour l'examen de sa constitutionnalité. Plus tard, Lenelclau dû dissoudre le Parlement pour cause de corruption.
Révérée par le peuple
Comme le révèle une étude du professeur
australien K.J. Crossland, une autre spécificité du
mandat de Mme Patterson est que la médiatrice s'est
plutôt imposée comme « championne et servante du
peuple » au lieu de limiter son rôle à celui de
conciliatrice entre le peuple et ses dirigeants, introduisant
même une nouvelle dimension pédagogique à sa
fonction en utilisant les médias modernes. En effet,
grâce à des émissions radios en bichlamar (la
langue populaire comprise par tous) où elle expliquait en
détail tous les dossiers et les malversations des uns et des
autres, grâce des tournées d'informations et de
pédagogie en caboteur à travers les îles et dans
des villages trop souvent oubliés par l'élite au
pouvoir à Port Vila, la médiatrice devint une personne
fort populaire et très respectée parmi la population,
certains lui dévouant une véritable
vénération. L'amplitude de sa nouvelle autorité
auprès des îliens fut révélée lors
d'une campagne de sensibilisation qu'elle mena contre la violence
à l'égard des femmes, trop souvent encore
considérées comme des êtres inférieurs au
Vanuatu. Selon divers témoignages, les "tabassages"
d'épouses auraient alors considérablement
diminué dans les communauté rurales, des hommes
expliquant qu'ils ne pouvaient plus battre leur femme car « la
médiatrice a déclaré à la radio que
c'était dorénavant "tabu" (tabou) », c'est
à dire devenu une interdiction coutumière. Il est
évident qu'un tel pouvoir naissant de "chef coutumier" autour
de la personne de la médiatrice ne pouvait qu'inquiéter
vivement la classe politique de Vanuatu, une autre raison pour vite
s'en débarrasser.
Mais Madame Patterson a aussi eu ses échecs. Le plus grand fut
certainement de voir que certains des politiciens les plus corrompus
et dévoilés par ses dossiers aient été
réélus lors des élections nationales de 1998,
notamment l'ancien ministre des Finances Jimmy Willie, ensuite
nommé vice Premier-ministre. Aussi, le choix de son
successeur, un inculpé, semble démontrer que
l'intérêt majeur des dirigeants serait de pouvoir enfin
"magouiller en paix".
Graines de démocratie ?
Ainsi donc prennent fin (provisoirement ?) cinq années d'efforts d'une bien courageuse dame qui a essayé de raisonner avec l'élite politique du Vanuatu pour qu'elle devienne plus responsable vis-à-vis du bien-être du peuple. Mais bien que, rapport après rapport, le bureau de la médiatrice ait exposé un réseau de malhonnêteté, de corruption, de favoritisme parmi ceux qui détiennent le pouvoir ; bien qu'il ait condamné à répétition la manière dont l'argent public est détourné, ses investissements ruinés, le pouvoir abusé et ait ainsi expliqué comment le pays est ainsi mené vers la misère et l'anarchie, les hommes actuellement au pouvoir ont préféré se débarrasser de celle qui lutte pour une justice et une démocratie plus grande que de changer leurs attitudes.
Pauvre peuple du Vanuatu ! Qui dorénavant voudra investir
pour le développement dans un pays où le dernier verrou
de l'équité a sauté, un pays dorénavant
sans contrôle et à la merci d'une clique de "sweetenem
man" (homme aux pots-de-vin, qui "sucre") et "big men" (hommes de
pouvoir) pour qui leurs propres intérêts, ceux de leurs
familles, de leurs "copains" sont plus importants que ceux du
pays.
Mais, à long terme, il se pourrait que les graines de
démocratie et de gouvernement responsable que Mme Patterson a
courageusement semé pendant cinq ans germent un jour et
imposent une nouvelle rigueur morale. La révolte populaire de
Port Vila en janvier 1998 ne serait-elle pas un signe
précurseur du ras-le-bol d'un peuple face à
l'égoïsme de ses dirigeants ? Les politiciens sauront-ils
s'en apercevoirÉ?
Par contre, une chose semble sûre : un jour, Marie-Noëlle
Ferrieux Patterson sera de nouveau au devant de la scène du
Vanuatu. Elle est devenue un atout de ce pays, une
célébrité mondiale.
Alex W. du PREL
Sources : Dossiers du médiateur,
archives TPM, Kalev Crossland, dépêches PINA et NAP.
ENCADRE
Triste réseau "diplomatique" de
Vanuatu
Fax du Premier-ministre Carlot à Mr Paul Than, "Consul
honoraire du Vanuatu pour l'Asie", expédié le 17
août 1995 :
« Pour mon élection, je vous demande de transmettre ceci
à nos Représentants Commerciaux asiatiques, je leur
demande de transférer leurs contributions telles que
spécifiées sur mon compte ASIACITI TRUST Company
à la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation, 10 Collyer
Quay, # 01 Ocean Building, Singapour 0104, compte MASCOT HOLDING INC
# 141 Ð246660 Ð01. Ou en Malaisie à la Kuala Lumpur
Bank, BUMIPUTRA MALAYSIA BERHAD, AIRPORT BRANCH No. A/C CA 1173-48.
Paul, le consul honoraire de Singapour a déjà mis 10
000 dollars US sur mon compte. Mr Masumoto promet de me rencontrer
à Tokyo et de me donner 5000 dollars le 24 août.
S'il-te-plaît, Paul, demande aux autres de faire leur part de
suite. Si je reçois des réponses négatives des
autres, je me chargerai personnellement, en tant que Premier-ministre
et ministre des Affaires étrangères d'annuler leurs
nominations en tant que représentants du gouvernement du
Vanuatu à l'étranger. Paul s'il-te-plaît donne
moi ta réponse par fax le 24 août au matin. Bien le
bonjour et bon courage et à bientôt Port Vila.
(signé) Maxime Carlot Korman »