Tahiti-Pacifique magazine, n° 59, mars 1996
CHARLES I, EMPEREUR D'OCEANIE
Folie et escroquerie aux antipodes
par Alex W. du PREL
Voici l'histoire d'une des grandes folies du Pacifique. Nous avions déjà publié en 1992 un récit condensé élaboré par Christian Beslu, ce qui nous valut un volumineux courrier. Entre-temps, une plus ample documentation nous permet enfin de vous conter l'aventure en détail.
LB matin du 31 mars 1880 trois Français, fatigués et épuisés, avec des vêtements en loques, se présentèrent à la mission wesleyenne de l'île du Duc de York, à mi-chemin entre ce que sont aujourd'hui Rabaul et la Nouvelle-Irlande. Ils étaient arrivés par terre et par mer depuis la pointe méridionale de la Nouvelle-Irlande où, quelques dix semaines auparavant soixante-six colons, essentiellement des Français et des Allemands, débarquèrent du voilier Chandernagor avec les machines pour une raffinerie de sucre, une grue à vapeur, des outils agricoles, 180.000 briques et d'innombrables autres objets. En anglais approximatif, ils racontèrent l'histoire d'une aventure étrange et de grandes souffrances. Ils expliquèrent avoir voyagé depuis Liki-Liki, le premier de plusieurs établissements planifiés par un gentilhomme français, le marquis de Rays, empereur de la « Colonie libre et chrétienne des Mers du Sud de la Nouvelle-France ». Ils annoncèrent aux missionnaires que leurs camarades colons étaient malades et découragés et les imploraient de les sauver d'une famine certaine. Le camp de Liki-Liki fut évacué peu après, mais parce que les nouvelles voyageaient lentement en ces jours, trois navires de plus arrivèrent depuis des ports européens. Le Genil en août 1880, LeCharente deux mois plus tard, et le Nouvelle Bretagne en août 1881. Beaucoup de colons devaient mourir de fièvre et de malnutrition avant que la Nouvelle-France ne fut abandonnée en 1882.
La Colonie Libre de Port-Breton (telle que la "Nouvelle-France" était officiellement connue) n'était pas la première tentative d'implanter une colonie européenne en Nouvelle-Guinée avant son partage en 1884. Dès 1793, le capitaine Jean Foins de la Compagnie des Indes Orientales avait établi à l'ouest de l'île une éphémère et semi officielle colonie nommée "Nouvel Albion". En 1828, les Hollandais installèrent un poste de gouvernement dans la baie des Tritons; il fut abandonné sept ans plus tard, après la mort de plus de cent fonctionnaires hollandais, soldats indonésiens et leurs familles. Plusieurs autres projets de colonisation échouèrent.
La "Nouvelle-France" différait de tous ceux-ci par son échelle, son financement entièrement privé et les motivations de son fondateur. Le marquis réussit à attirer neuf millions de francs d'investissements pour sa colonie, une vraie fortune (en comparaison, les Britanniques colonisèrent par la suite toute la Nouvelle-Guinée avec un budget de 600.000 francs par an).
En fin de compte, quelques six cent cinquante colons sont partis d'Europe pour la Nouvelle-France en quatre expéditions séparées; environ la moitié d'eux moururent en Nouvelle-Guinée ou en mer. Seuls soixante-dix retournèrent en Europe, environ deux cents s'installèrent en Australie et une douzaine restèrent en Nouvelle-Guinée.
Aventurier
voyageur
En ce qui concerne le fondateur de la colonie, Charles Bonaventure du Breuil, plus connu sous le nom de marquis de Rays, il est difficile de dire avec certitude s'il était un escroc, un fou, ou les deux. Le marquis était certainement un escroc : dans les catalogues vantant sa colonie inconnue et ses terres vierges, celles-ci étaient annoncées comme connues et les plaines marécageuses étaient annoncées comme forêts de cocotiers regorgeant de noix de coco prêtes à être ramassées. Sa folie -s'il était fou- consistait en l'insistance que le plan devait continuer alors qu'il était évident qu'il ne pourrait pas réussir.
Mais il était aussi un rêveur, un homme profondément religieux avec un penchant pour « rendre la gloire à la France ». Sa Nouvelle-France non seulement devait inclure la Nouvelle-Irlande, mais encore une grande partie de la Nouvelle-Guinée et les îles Salomon. En 1880, le marquis s'octroya le titre de « Charles 1, empereur d'Océanie ».
Bien que le marquis n'ait jamais visité la Nouvelle-Irlande, il avait beaucoup voyagé. Né en Bretagne en 1832, descendant d'une famille noble, la colonisation et l'aventure semblent avoir coulé dans son sang. Avant ses 20 ans, il avait déjà tenté sa chance comme éleveur aux Etats-Unis pour ensuite devenir courtier en arachides au Sénégal, puis colon à Madagascar et en Indochine. En 1869 il retourna dans sa propriété de famille en Bretagne, alors lourdement hypothéquée, devint un époux de modèle et se rallia au Parti Légitimiste, opposant farouche aux valeurs de la Troisième République.
Mais la vie tranquille ne lui réussissait pas. En 1877 parut dans la presse une brève annonce signée de lui offrant le sol dans la Colonie Libre de Port-Breton à cinq francs l'hectare et promettant aux investisseurs une «fortune rapide sans quitter la patrie». Etrangement, Port-Breton devait être implanté d'abord dans la baie des Requins, une des régions les moins hospitalières du littoral australien occidental. La brochure expliquait la création « d'une institution libre conçue pour l'expansion vaste d'entreprises coloniales. Les vastes plaines vides de l'Australie du nord-ouest, proche de notre établissement (Port-Breton), n'appartiennent à personne. Aucun gouvernement n'a revendiqué ces vastes terres, partiellement découvertes par la nation française; aucun sauvage et aucun colon ne cultivent le sol (�) La terre appartient au premier occupant, etc. »
Le manque de réalisme du marquis devint évident lorsqu'il s'étonna que l'ambassadeur australien à Paris lui indiqua que le gouvernement n'accepterait en aucun cas son projet. Le marquis déplaça donc sa colonie à Port-Praslin en Nouvelle-Irlande, une anse nommée ainsi par Bougainville en 1768 et visitée par Duperrey en août 1823. Il semble que le marquis choisit le site sur la base du compte rendu de cette expédition : il trouvait les gens locaux amicaux et le climat exceptionnellement clément pour cette époque de l'année. Les colons découvrirent par la suite que Port-Praslin était un cul-de-sac malsain avec une précipitation annuelle d'environ cinq mètres, un vrai trou. Durant la saison des pluies d''avril à septembre, les averses durent jusqu'à une semaine et quand il ne pleut pas, l'air stagne en vapeur parce que l'île Lambom empêche l'alizé du sud-est de remonter dans la baie. En saison sèche, les vents prédominants du nord-ouest qui auraient pu soulager de la chaleur, sont détournés par la chaîne de montagne derrière le port. La topographie bizarre du site, la qualité pauvre de la terre rendait l'agriculture virtuellement impossible. Même le taro, la nourriture principale de l'Océanie, refuse d'y prospérer.
Au début de 1879, avec Port-Breton placé fermement en Nouvelle-Irlande, quelques 3000 personnes avaient acheté pour un demi million de francs de terres dans la colonie inexistante. Mais ce n'était pas assez pour le marquis. La mise en place par le gouvernement du premier ministère anticlérical en février 1879 donna à son plan une relance inattendue. Il décida de recruter le soutien de L'Eglise catholique Romaine. Le gouvernement laïque, bien sûr, refusa de donner son soutien à la colonie, le bénissant ainsi aux yeux des fidèles. Lors d'un congrès à Marseille en avril 1879, le marquis annonça plus de détails sur son plan. Le sol serait correctement cadastré et les titres représentant la propriété seraient transférables comme toute autre propriété. Des Chinois, Indiens et Malais fourniraient le travail nécessaire. Les indigènes de Nouvelle-Guinée, pour leur part, auraient le bénéfice de chrétienté: les moines expulsés de la vieille France aideront à Christianiser ceux de la Nouvelle-France.
Bien que le marquis fut incapable de promettre quoi que ce soit sauf «la réussite de l'entreprise », les fonds affluèrent et le prix du foncier augmenta d'abord à dix francs l'hectare, puis à vingt francs et enfin, en avril 1881, à cinquante francs. En juin 1879 parut le premier exemplaire du bimensuel La Nouvelle-France, consacré à la création de colonies, abondamment illustré de vieilles gravures idylliques de paysages d'îles tropicales. Les investisseurs éventuels étaient submergés de brochures et pouvaient aussi se procurer le portrait du marquis (soixante centimes), une carte de la Nouvelle France (cinquante centimes) et (pour deux francs) une copie de la musique de la "Marche de Port-Breton" composée par un Dr. Febrer à la gloire du fondateur de la colonie.
Sociétés fantômes
Mais il y avait encore un problème mineur à résoudre: le marquis avait promis aux abonnés qu'ils pourraient devenir riches sans émigrer. Il régla cette difficulté en créant une entreprise, la Société des Fermiers Généraux de la Nouvelle-France. Tout propriétaire d'actions dans la maison mère pouvait acquérir, en payant un supplément de cinq francs, un hectare de terre. En échange de ce paiement, la nouvelle entreprise s'engageait à rendre la terre productive avec des travailleurs indigènes. Ne faisant pas les choses à moitié, le marquis créa aussi la Société des Sucreries, Distilleurs et Exploitation Agricole, qui devait faire tourner à Port-Breton une usine de sucre. La Société Franco-Océanienne de Commerce et de Navigation était destinée à assurer le transport entre l'Australie et la Chine, et la Société Franco-océanienne des Mines de Nouvelle-France devait exploiter les gisements de cuivre de la Nouvelle-Irlande.
Comparée à ces grandioses projets, la réelle Nouvelle-France était une affaire presque grotesque sauf pour ceux qui y perdirent leurs vies et leur argent. Peut-être le mot "réel" n'est-il pas exact, car mis à part les 15 mois entre l'arrivée des premiers colons en janvier 1880 et l'évacuation finale de février 1882, la colonie n'existait que dans les pages de "La Nouvelle-France".
Intendance désastreuse
Le premier navire, le voilier Chandernagor avec soixante-six colons à bord, arriva à Port-Praslin le 20 janvier 1880 après avoir auparavant débarqué dix-sept colons sur les Îles Laughlan. Le 31 janvier, la communauté fut déplacée 18 kms à l'est de Port-Praslin, à Liki-Liki (appelé aussi Metlik). En effet, le 26 janvier un orage violent se déclara et le Chandernagor dut repartir en mer pour sa sécurité. Il fut incapable d'accoster les prochains cinq jours, trouvant enfin un abri à Liki-Liki. Un grand espace fut alors implanté là, nommé "Place de la République" ainsi qu'un nombre de rues, les colons choisirent leur terres et le déchargement de ravitaillements commença. De grandes préparations avaient été faites en France pour la réussite de l'expédition. Une cheminée et une grande chaudière à vapeur furent déchargées sur la plage avec une grande quantité de briques destinées à la construction d'une cathédrale. Il y avait aussi des machines pour raffiner le sucre, une grue à vapeur, des incubateurs, une scierie et des outils agricoles. Mais il était évident qu'il y avait eu grande négligence de la part l'intendance: il y avait des milliers de manches à couteau, mais aucune lame, un grand nombre de brouettes, mais pas de roues pour celles-ci; pratiquement aucune hache et seules quelques bêches de qualité exécrable.
Non seulement les colons manquaient d'équipement de base mais ils étaient aussi à court de nourriture. Le 20 février, le Chandernagor, avec le gouverneur Titeu de la Croix à bord, quitta Liki-Liki pour Sydney afin de chercher des ravitaillements. Le gouverneur décida alors "d'abdiquer" et resta à Sydney pour ne plus jamais remettre les pieds en Nouvelle-Irlande.
Lorsque les ravitaillements arrivèrent à la mi-mai sur une goélette affrétée, l'Emilie, quarante-deux des soixante-six colons avaient quitté Liki-Liki, évacués à leur requête vers Port Hunter aux îles du Duc de York par des missionnaires méthodistes. Après l'arrivée de l'Emilie quelques évacués rejoignirent leurs camarades à Liki-Liki, mais à la mi-août, tout le monde était de retour sur les îles du Duc de York et Liki-Liki fut "officiellement'" abandonné.
Démoralisation
Le prochain navire à quitter l'Europe, le Genil, atteint la Nouvelle-Irlande fin août 1880. Il n'avait pas de colons à bord car ils avaient tous déserté à Singapour en protestation contre les méthodes disciplinaires cruelles à bord du navire -tel accrocher les "offenseurs" par leurs pouces au mât-, �uvres du capitaine Gustave Rabardy. Le Genil atteint Port-Praslin avec un équipage de vingt-cinq coolies malais, engagés par Rabardy à Singapour, mais ne déchargea pas sa cargaison jusqu'à l'arrivée du troisième navire, l'Inde, le 14 octobre. L'Inde transportait trois cent quarante colons, surtout des Italiens, dont la moitié étaient des femmes et des enfants. Cette expédition était mieux organisée que les deux premières et pendant un mois il sembla que la Nouvelle-France pourrait réussir, après tout. Le capitaine du H.M.S. Beagle, qui s'arrêta à Port-Breton le 2 novembre, trouva tout le monde en bonne santé et plein de détermination.
Mais à la fin de novembre, la démoralisation avait gagné tout le monde, la carence en vitamine et le paludisme commençaient à faire des victimes et les provisions s'amenuisaient. Le nouveau Gouverneur, le colonel J. A. Le Prévost, proposa d'aller avec Rabardy à Sydney chercher des ravitaillements, promettant solennellement d'être de retour dans les cinquante jours. Une fois à Sydney, le colonel choisit de suivre l'exemple de son prédécesseur, prétendant un "problème de coeur" et la Nouvelle-France se retrouva pour la deuxième fois sans gouverneur. Rabardy ne revint pas avant le 20 février, presque cinq semaines après la date promise.. Il trouva Port-Breton déserté et l'Inde absent. Or la décision d'évacuer le site avait été prise seulement un jour ou deux avant le retour du Genil, et les deux navires se manquèrent de seulement quelques heures. Sur sa route vers Sydney, l'Inde fit escale à Nouméa où les autorités françaises le déclarèrent impropre à la navigation; il fut vendu pour une fraction du prix que le marquis avait payé pour le navire. Aux colons furent proposé un logement en Nouvelle-Calédonie, mais la plupart d'eux n'avait aucune envie de vivre dans une colonie pénale. Deux cents furent enfin amenés à Sydney sur le James Patterson, affrété par le gouvernement de la Nouvelle-Galle du Sud et s'installèrent en Australie.
Le dernier navire à partir pour Le Port-Breton était le Nouvelle-Bretagne: il quitta Barcelone le 7 avril 1881, le jour même où le contingent de déçus débarquait à Sydney. Le désastre de Liki-Liki n'était pourtant plus un secret en Europe, certains survivants de l'expédition du Chandernagor étant rentrés chez eux fin 1880. Mais la tragédie de l'expédition de l'Inde était apparemment encore inconnue, et les colons sur le Nouvelle-Bretagne entendirent les premières mauvaises nouvelles à Colombo où une missive du marquis attendait le capitaine Jules Henry, le nommant gouverneur par intérim de la Nouvelle-France. Le capitaine Henry était un des rares réalistes parmi les officiels de la colonie. A Singapour, avec le consul de France, il avait essayé en vain de dissuader les colons d'aller à Port-Breton.
Obsession
Mais la Nouvelle-France était devenue une obsession avec la plupart et ils étaient convaincus que le capitaine voulait arrêter l'expédition afin de pouvoir exploiter seul les richesses de Nouvelle-Irlande, «pour leur voler leur part de paradis». Ne pouvant changer leurs accusations et leurs fixations, le capitaine Henry fit alors tout pour assurer que l'expédition soit au moins équipée correctement. Il acheta des outils et de la nourriture, engagea des pêcheurs et des menuisiers locaux, acheta une vieille barque pour être employée en tant que navire hôpital. Mais même les réalistes les plus robustes n'étaient pas préparés pour le spectacle qui se présenta à Port-Breton. Un colon belge raconte :
« Nous arrivâmes à Port-Breton le 15 août 1881, et quelle déception ce fut, notre paradis devint un enfer plutôt qu'une terre promise. Certains passagers étaient si consternés qu'ils pleuraient de désespoir� lors de notre entrée dans la rade, on ne vit que la pluie, et quelle pluie. Cette pluie dura quarante huit heures avant qu'elle ne s'arrête et nous vîmes que nous étions arrivés dans un entonnoir avec si peu de terres arables, pas plus de 50 hectares au bout desquels la colline montait très droit jusqu'au ciel. Nous voyions quelques bâtiments, des taudis, le long du rivage. Un des colons nommé Pitoy était presque fou car il se demandait où se trouvaient les 1800 hectares qu'il avait achetés. »
A la mi-septembre le ravitaillement et le moral commencèrent à baisser et les colons décidèrent d'envoyer le capitaine Henry à Manille chercher des provisions. Après l'exemple des deux gouverneurs précédents, ils craignaient naturellement qu'il puisse ne pas revenir et certains proposèrent de garder sa femme en otage, mais acceptèrent finalement sa parole d'honneur de marin qu'il serait de retour dans trois mois.
Une fois à Manille, le capitaine Henry télégraphia au marquis pour demander des fonds. Des promesses furent faites, et sur cette base il chargea son navire avec des ravitaillements et attendit. Comme les jours passaient et qu'aucun fonds n'était télégraphié, il devint clair pour le capitaine et les autorités espagnoles que le marquis avait complètement abandonné la colonie. La rumeur circula dans Manille et le gouvernement demanda au capitaine sa parole d'honneur qu'il ne quitterait pas le port avant que son navire ne soit déchargé. Déchiré par un dilemme moral, Le capitaine Henry profita d'une nuit orageuse pour s'enfuir et rejoindre Port-Breton début janvier 1882. Il avait à peine distribué les provisions qu'un navire de transport militaire espagnol, le Legaspi, arriva dans la baie, arrêta le capitaine et saisit son navire. Les Espagnols croyaient que la ville de Port-Breton existait réellement et arrivèrent avec troupes et artillerie, pour se retrouver face à 105 colons émaciés. Le Legaspi transporta les malades et tous ceux qui désiraient partir, laissant derrière quarante colons qui ne voulaient, ou ne pouvaient pas, admettre la défaite. Leur détermination ne dura pas longtemps, cependant. Exactement quinze jours après que le Legaspi disparut à l'horizon, les colons restants déclarèrent une République et� votèrent l'évacuation immédiate.
Ils établirent le contact avec Thomas Farrell, le futur consort de la légendaire reine Emma, en 1882 encore juste un négociant allemand de Mioko. Avec son aide, Port-Breton fut évacué le 13 février après qu'encore quatre des quarante colons restants décédèrent. Leurs tombes (et celles de leurs camarades qui moururent avant) étaient bientôt recouvertes par la forêt tropicale. Avant peu, les seuls témoins du nouveau monde que le marquis avait espéré implanter dans les Mers du Sud étaient des restes de machines rouillées et une meule gigantesque, expédiée à Port-Breton pour moudre un grain inexistant.
En 1938, le capitaine du port de Rabaul la découvrit et la transporta à Rabaul sur une barge. Elle est depuis érigée à côté la route principale de cette ville, avec une plaque de cuivre qui explique son origine. Bien que Rabaul fut rasé par les bombardements pendant la Deuxième Guerre mondiale, la pierre fut épargnée comme si la Providence voulait la préserver comme monument à la gloire de la folie de l'Empereur Charles I et de la crédulité de ses victimes.
Le marquis de Rays, lui, finit sa vie en prison. Il fut arrêté en Espagne en juillet 1882, jugé l'année suivante par un tribunal français pour « homicide par imprudence criminelle » et condamné à quatre années d'emprisonnement et à une amende de trois mille francs. Il mourut avant d'avoir purgé entièrement sa peine.
Son arrestation et son procès furent ressentis par beaucoup d'adhérents comme un acte de persécution religieuse ou politique de la part d'un gouvernement républicain athée, et même à Port-Breton, certains colons ne le considéraient pas coupable, malgré toute l'évidence du contraire.
Le pire de toute cette triste histoire, c'est que si le marquis de Rays avait choisi un autre site un peu plus au nord sur l'île de la Nouvelle-Irlande, exposé aux alizés et donc aéré, avec de grandes plaines et éloigné seulement de quelques kilomètres, l'aventure aurait certainement réussi.
Alex W. du PREL
Sources :
-Peter Biskup, "Charles 1, swindler, madman or both", Hemisphere, Sydney, 9/1980.
-Collingridge, G. "Colonization by Prospectus". Forum, 1(24),1923:14. 2. Duperrey, 1. Voyage autour du Monde, Paris. 1825-30.
-Baudouin, A. "L'Aventure de Port-Breton et la Colonie Libre, dite Nouvelle-France". Paris. 1885:15.
-Brown, G. George, "Brown. D.D Pioneer, Missionary and Explorer: An Autobiography". London. 1908:363.