Tahiti-Pacifique magazine, n° 143, mars 2003

 Prix des terrains : selon le client ?

Etranges transactions immobilières du gouvernement

 

Ces temps derniers, on est souvent étonné d'apprendre à quel prix le gouvernement achète des terrains pour se « constituer une réserve foncière », alors qu'il en cède parfois d'autres à des prix « cadeau » difficilement expliqués. Penchon- nous sur certaines transactions récentes.

On se rappelle que le Territoire avait échangé en octobre 1997 le terrain (plat) du Palais présidentiel de 2,5 hectares (d'abord annoncé comme « cadeau de Jacques Chirac ») pour d'autres terrains d'une valeur de 600 millions Fcfp, ce qui fait 24 000 Fcfp le mètre carré. Par la suite, en juin 2001, la Présidence achètera un terrain adjacent (en pente) de 2 hectares pour 1,187 milliard, soit à 57 000 Fcfp/m2, afin d'empêcher de vilains curieux de pouvoir avoir une vue sur le bureau présidentiel.

Selon les agents immobiliers de la place, les prix actuels (2003) de l'immobilier au centre ville de Papeete varient entre 50 000 et 110 000 f/m2, le prix le plus élevé ayant été payé pour un terrain près du marché où se construit un immeuble.

 

Bord de lagon "cadeau"

 

C'est la raison pour laquelle la transaction du 28 octobre 2002 avec Jean-Jacques Lequerré ; ancien questeur et conseiller RPR-Tahoera'a à l'assemblée territoriale, a ému des experts immobiliers de la place. En effet, avec la bénédiction du Conseil des ministres, le Territoire échangea un terrain de bord de lagon avec plage à Punaauia (un des derniers accès publics à la plage de cette commune qui est le "Neuilly" de Tahiti) contre deux autres situés à Papeete, plus une somme en soulte. Or, dans cette transaction, le Territoire vend son terrain de bord de mer (acheté voici 3 ans à la commune de Punaauia pour raison de « réserve touristique ») de 9425 m2 pour 150 millions, soit 15 915 Fcfp le mètre carré, alors que la valeur estimée de ce terrain très rare est plutôt de 40 000 Fcfp/m2. Surtout que le même Territoire avait payé d'autres terrains de Punaauia, loin de la mer ceux là, bien plus chers, notamment 1,2 milliards Fcfp au Groupe Wan pour 5,76 hectares à Outumaoro, soit 20 830 Fcfp le m2, ainsi que deux petits lots (100 et 60 m2) en bord de mer à Punaauia pour 20.000 Fcfp le m2 en 1997.

 

Plus cher que les Champs Elysées

 

Mais l'étonnement ne s'arrête pas là : en échange du beau terrain en bord de mer, M. Lequerré donne « 50% des droits indivis » d'un terrain de 808 mètres carrés situé à côté du palais présidentiel que le Territoire achète 55 millions Fcfp, ce qui fait 136 138 Fcfp le mètre pour 100% des droits indivis de cette terre ! C'est un nouveau record battu pour un terrain nu à Tahiti ! Plus cher que les Champs Elysées à Paris, alors que la valeur « normale » d'un tel terrain (non indivis !) se situerait aux alentours de 40 000 Fcfp/m2 selon des experts. Pour mieux comparer, il faut savoir qu'en 2001, le même Territoire avait acheté (cher) juste à côté 8 lots de bureaux (1676 m2) de très grande qualité dans le bâtiment « Tati » pour 185 000 francs le mètre carré ! Mais là, c'est du construit ! Et des terrains achetés à l'Eglise catholique un peu plus loin, à la Mission, n'ont coûté que 8260 Fcfp/m2 (2000), voire 6305 et 2252 Fcfp/m2 en 2001.

 

Inégalité aux Tuamotu

 

Mais il y a une foule d'autres achats qui semblent « anormaux ». Rappelons l'achat du Territoire de l'atoll de Anuanuraro à Robert Wan (lire TPM 131, mars 2002), une île inhabitée de 218 hectares sise à 730 kilomètres de Tahiti et payée 850 millions Fcfp (7,1 M d'euros) soit 390 Fcfp le mètre carré, et cela pour un endroit pratiquement inaccessible. Afin de comparer avec le comparable, il faut mentionner «l'île de rêve » équipé de Tupai, 1000 hectares sis à 15 kilomètres de Bora Bora et que le Territoire avait acheté en mars 1998 pour 675 millions Fcfp (5,6 M¤), soit 67 francs le mètre carré ! Et pour comparer dans les Tuamotu, il faut savoir que le Territoire, lors de la construction de pistes d'aéroport, paye les expropriations de motus d'atolls habités et bien plus proches de Tahiti que Anuanuraro 200 francs le mètre carré, les 300 Fcfp/m2 (acheté à qui ?) à Arutua restant une exception .

 

Inflation à Huahine

 

Un autre achat territorial qui a fait lever les sourcils est celui d'une terre du groupe Wan (en bord de mer ) à Fare Huahine, 39 500 mètres carrés pour 325 millions, soit 8229 Fcfp/m2, une véritable folie pour une île telle que Huahine ! Pour comparer, il faut savoir que le Territoire avait acheté sur la même île les 26 superbes hectares avec 1,5 km de plages de l'Hôtel Hana Iti en novembre 1999 pour 330 millions Fcfp, soit 1269 Fcfp/m2 mais encore, non loin de là, en 2001 un autre terrain à Fare de 3,7 hectares à 756 Fcfp le mètre carré.

 

Il est évident que de tels achats de terrains par le Territoire à des prix «"faramineux" est un des facteurs de la flambée continue des prix de l'immobilier en Polynésie française, des prix qui font que l'employé Tahitien, même les cadres, ne peuvent plus accéder à la propriété. Le gouvernement le reconnait bien puisqu'il vient de reconduire son programme d'aide à construction pour des ménages ayant jusqu'à 500 000 Fcfp (4100 ¤) de revenus mensuels.

 

Plus de lotissement à la Punaaruu

 

Mais aussi, il y a cet étrange et récent incident qui s'est passé dans la vallée industrielle de la Punaruu : Le territoire avait jadis acheté une dizaine d'hectares pour la SETIL qui devait en faire un lotissement industriel. La SETIL devint la SAGEP, et celle-ci contacta de nombreuses industries de la vallée afin d'obtenir des offres d'achats, ce que celle-ci firent avec bonheur, car à l'étroit. Puis, un matin, tout le monde apprit qu'il n'y avait plus de lotissement, car ce terrain avait été vendu de gré à gré� au groupe Wan (encore !), « selon un prix approuvé par la commission d'évaluation », un prix jusqu'à présent impossible à découvrir.

 

Remblais bradé

 

Par contre, lorsque la famille d'un ministre a besoin d'agrandir son lopin de terre, le Territoire (donc Président) sait alors se montrer d'une grande générosité. Ainsi apprend-on par le journal officiel du 20 février 2003 qu'à Faa'a une Dame Tatehau Vahine Ellis, épouse Bouissou est la très heureuse acheteuse de deux emplacements du domaine public maritime remblayés, un total 682 mètres carrés, « déclassés du domaine public » en échange de « 1000 francs Pacifique le mètre carré », alors que la valeur du front de mer proche de Papeete se situe aux alentours de 40 000 francs le mètre carré, et cela lorsqu'on a la chance de trouver une telle parcelle. Que la belle villa du fils de la dame, nul autre que le ministre du Logement et porte-parole (moralisateur) du gouvernement Jean-Christophe Bouissou, soit bâti sur ce terrain n'est, bien entendu, qu'une étonnante coïncidence.

 

Alex W. du PREL

 

Sources : Journaux officiels, archives TPM.