Bilan de son séjour à Tahiti :
PAUL RONCIERE DIT TOUT !
Tahiti-Pacifique magazine, N°79, nov.1997
Le haut-commissaire Paul Roncière, après un séjour de trois ans, a quitté Tahiti pour son nouveau poste de secrétaire général de la Mer auprès du Premier ministre à Paris. Avant son départ, cet homme qui a réussi à devenir l'ami des dirigeants comme de la population, surtout de celle des archipels pour laquelle il avait un attachement particulier, nous a accordé, le 24 septembre, une longue interview afin d'exprimer son point de vue, mais aussi ses inquiétudes pour notre territoire auquel il est profondément attaché. Lisez cette interview qui nous révèle que M. Roncière, grand diplomate, est aussi un homme qui vit la réalité des choses et qui a le courage de mettre en exergue, dans un langage clair, les problèmes et "dérapages" dans nos îles qui l'inquiètent.
Tahiti-pacifique Magazine : Vous aviez vécu en Polynésie française de 1969 à 1972, puis vous êtes revenu en 1995. Avez-vous été surpris par le changement ?
Paul RONCIERE : Oui, incontestablement. Certaines choses
surprennent. Le premier changement est au niveau de la
démographie. En 1972, il y avait 120 000 habitants en
Polynésie française et en 1996, date du dernier
recensement, il y en a 220 000. C'est une période de
croissance à tout va qui pose évidemment des
problèmes importants, pour le territoire et pour le devenir de
la jeunesse en matière de développement
économique et d'intégration sociale.
Le deuxième point concerne le plan statutaire. Les choses ont
énormément évolué. 1972 c'était
avant l'autonomie de gestion, avant l'autonomie interne, le temps des
gouverneurs. A cette époque, le gouverneur Pierre
Angéli était à la fois le représentant de
l'Etat et le chef du territoire. L'ensemble des administrations, du
territoire comme de l'Etat avaient une seule tête. Maintenant
il y a une séparation claire due au statut d'autonomie, d'un
côté l'Etat avec un certain nombre de compétences
régaliennes, qui sont des compétences d'attribution
c'est-à-dire limitatives, et de l'autre, le territoire avec
l'ensemble des compétences de droit commun notamment ce qui
touche au développement économique et social et qui
pour ce faire dispose de ses propres services. Comme c'est un statut
relativement récent, cette autonomie veut s'affirmer, et les
autorités territoriales veillent jalousement à ce que
l'Etat ne déborde pas de ses compétences. Au niveau
politique, cela a changé beaucoup de choses puisque la gestion
des dossiers majeurs relève désormais des
compétences du territoire et de ses institutions. Certains
alors disent « A quoi sert l'Etat, le haut-commissaire doit
passer son temps à faire de la peinture ou à lire
puisqu'il n'a plus rien à faire.» Ceci est
évidemment tout à fait erroné et je vous rassure
les journées sont bien remplies. Non l'Etat n'est pas absent !
TPM : N'est-on pas en train de transformer l'autonomie en nationalisme ?
P.R. : Effectivement, en observant certains aspects, on a le sentiment qu'il y a une sorte de nationalisme polynésien qui se crée. Il faut bien aussi noter que le pouvoir central, c'est-à-dire celui de l'Etat a toujours été considéré comme le "pouvoir farani", une sorte de pouvoir extérieur. Et le pouvoir polynésien, le pouvoir local, est considéré comme étant celui qui a la plus forte légitimité. Il y aussi les symboles, le drapeau, l'hymne territorial, le sceau, l'ordre de Tahiti-Nui. Maintenant, et de plus en plus, le président du gouvernement établit des rapports avec les pays de la zone et à un certain moment j'ai vu apparaître un "ministère des relations extérieures de la Polynésie française". C'est une évolution à travers laquelle la Polynésie cherche à conforter son identité par rapport à l'extérieur, ou par rapport à elle-même. Mais parler de nationalisme c'est à mon avis aller trop loin, même s'il y a une tentation permanente d'affirmer la spécificité de ce territoire. Ça ne me choque pas. La difficulté, c'est à la fois de conforter l'identité polynésienne qui est forte et qui existe, et de rester au sein de la République en respectant les valeurs républicaines.
TPM : Ce nationalisme, surtout promu par les leaders territoriaux, se fait-il au détriment de la France ? Un exemple :: Lorsque le président Flosse reçoit le président de Kiribati, il lui parle en tahitien, langue que celui-ci ne comprend pas. On a le sentiment que ce nationalisme des leaders tahitiens est basé sur un message : « on n'est pas français.»
P.R. : Oui, d'une certaine manière je partage cette vision. Lors de mon premier séjour entre 69 et 72, nombreux responsables politiques du territoire avaient une attitude de même nature, c'est-à-dire qu'ils voulaient bien être français mais à condition de montrer leur différence. Tout le monde sait que la classe politique majoritaire en Polynésie a une double référence : La référence à la culture française mais aussi la référence à des valeurs polynésiennes, en clair "pour certains aspects, nous sommes la France, et pour d'autres, nous sommes Océaniens".
TPM : N'y a-t-il pas là un grand écart ?
P.R. : Cela peut apparaître comme un exercice compliqué et peut choquer un popa'a trop rationnel. Beaucoup de métropolitains qui sont imprégnés de la culture jacobine ont du mal à comprendre la bivalence du discours. Une autre preuve sont les propos tenus en français et les propos tenus en tahitien lors de réunions politiques : on a deux langages différents. C'est un peu la spécificité de Tahiti. En fait, c'est simplement l'illustration de l'influence partagée de deux cultures, voire de deux civilisations. D'une part, la culture polynésienne riche de ses traditions et de ses valeurs et qui doit rester une culture vivante et d'autre part une culture européenne qui au demeurant s'américanise rapidement. On parle toujours de l'Europe, on parle de la France, mais je constate que de plus en plus, on est en train de singer le mode de vie nord-américain. Ce "grand écart" est donc le reflet du tiraillement entre deux types de civilisations, particulièrement marquée dans la partie la plus évoluée de la société polynésienne.
TPM : Que penser de la société à deux vitesses, avec d'un côté ceux qui survivent en faisant du coprah, et les autres qui vont faire leur shopping à Las Vegas ?
P.R. : C'est quelque chose qui effectivement surprend. Cette société à deux vitesses (voire plusÉ) est particulièrement évidente en Polynésie française. Nous avons une société qui, par certains aspects, est développée avec un niveau de vie très élevé pour une certaine catégorie de personnes -et les fonctionnaires ne sont pas les plus mal traités- et puis d'un autre côté, une partie de la population qui ne bénéficie pas de cette richesse générale. Nous avons en effet un niveau de produit intérieur brut (PIB) qui est très confortable et qui est au niveau moyen de l'Europe, compte tenu notamment des transferts conséquents que l'Etat assure en Polynésie française. Mais la répartition de cette richesse ne se fait pas de façon très équitable et je crois que c'est un des problèmes de fond de la société polynésienne. Ce problème suppose des réformes courageuses.
TPM : En France, il y a eu un mouvement et même un ministère de la condition féminine parce que les femmes gagnaient 20% de moins que les hommes pour le même travail. Or à Tahiti, une moitié des employés gagne moins de la moitié du salaire des autres pour le même travail et on n'a toujours pas de ministère du secteur privé. Pourquoi ?
P.R. : C'est incontestable que cette dualité de la société entre une partie qui bénéficie de revenus très confortables, peu imposés, et une autre partie qui a juste de quoi vivre et a du mal à accéder à un niveau de vie moyen, puisque le SMIG est inférieur au SMIG métropolitain, est une source de malaise. Cela risque, un jour ou l'autre, de conduire à des difficultés réelles que nous avons déjà vécues. On a toujours tendance à imaginer que lorsqu'il y a des émeutes sur Tahiti, c'est lié avant tout à un problème ponctuel, la reprise des essais, le mécontentement des dockers, etc. Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a un phénomène déclenchant, mais ensuite tous ceux qui s'agglomèrent autour de cela, ce sont essentiellement des jeunes ou des moins jeunes qui ont le sentiment d'être exclus et qui n'ont strictement rien à perdre. Si la société elle-même n'a pas le courage de corriger ces profonds déséquilibres, nous risquerons de connaître de gros problèmes demain. A mes yeux, cette société à deux vitesses est probablement le principal risque d'instabilité sociale que présente la Polynésie française. Tahiti est un volcan en sommeil ; mais faisons en sorte qu'il ne se réveille pas !
TPM : Mais dans tous les plans de l'après-CEP dont on nous bombarde du matin au soir, on ne lit pas une fois qu'on va régler ces inégalitésÉ
P.R. : Je lisais récemment des propos tenus par un de mes prédécesseurs, Jean Montpezat, qui disait que « le haut-commissaire doit d'abord être le haut-commissaire des déshérités ». Malheureusement nous ne traitons pas suffisamment ce problème de fond. C'est par là que la société polynésienne risque un jour d'éclater, d'exploser. Je pense que son analyse était bien vue. L'Etat est conscient de cette situation. Je me souviens aussi des propos du Président de la République, François Mitterrand, qui, lors de sa venue à Tahiti, avait souligné la nécessité d'une plus juste répartition des ressources et d'un meilleur équilibre social. Huit ans plus tard le sujet reste d'actualité. Mais, -et là j'insiste- cette question doit d'abord être traitée par les Polynésiens eux-mêmes et par les élus qu'ils ont choisis pour conduire les affaires du territoire. Aussi longtemps que l'on préférera discuter des possibles solutions statutaires et que l'on évitera de parler des aspects du développement économique et du développement social, on n'avancera pas car les deux vont ensemble. La politique économique a pour ambition de faire en sorte que les hommes vivent mieux. Il faut prendre cette dimension en compte. Les grands équipements structurant sont nécessaires : il est normal d'avoir des hôpitaux modernes, des ports qui permettent d'accueillir mieux un plus grand nombre de bateaux, voire un deuxième aéroport international. Mais c'est une réponse incomplète. Le volet social sur lequel vous insistez me paraît être un des principaux enjeux de l'après CEP.
TPM : Où est l'espoir ?
P.R. : L'agriculture et encore plus la pêche, sont des secteurs qui doivent être développés. Ils ont l'avantage de permettre le maintien des populations dans les îles ou dans les districts. Evitons de faire de l'agglomération de Papeete un centre hypertrophié, où se regroupent les activités tertiaires. La Polynésie française a deux visages : le visage d'un pays moderne et développé, mais par d'autres aspects, notamment par des fortes inégalités sociales déjà évoquées, celui d'un pays sous-développé. Le pari est de faire disparaître aussi rapidement que possible les aspects de sous-développement pour ne plus avoir qu'un seul aspect, celui d'un pays développé. Si nous voulons éviter que ce phénomène ne s'aggrave, ce serait la priorité dans les années qui viennent. J'ajoute que cet enjeu, n'est pas le propre de Tahiti, des pays voisins appartenant au club des pays développés tels que la Nouvelle-Zélande, l'Australie ont aussi des inégalités sociales fortes. Promenez-vous dans un certain nombre de banlieues des grandes villes de ces deux pays et vous verrez que là aussi il existe des populations marginalisées exclues.
TPM : Elections annulées, médias dociles, est-ce vous croyez que la Polynésie française se porte bien au point de vue démocratique ?
P.R. : Premièrement, les lois de la démocratie s'appliquent en Polynésie française. Ce sont celles de la République. Il existe des partis politiques qui peuvent s'exprimer, je pense, librement, qui peuvent faire valoir leurs arguments, qui se présentent à l'occasion d'élections qui ont lieu régulièrement. Le deuxième aspect est qu'il convient effectivement de respecter le jeu de la démocratie. Vous parlez d'élections qui ont été annulées. Le fait même qu'elles soient annulées, c'est un signe de démocratie. Cela veut dire que si l'annulation est confirmée par le conseil d'Etat, c'est qu'il existe un certain nombre de pratiques qui sont considérées comme non conformes à la déontologie d'une démocratie. Et pour ce qui est des comportements de certains médias, il y a le sentiment assez répandu que la presse à Tahiti n'est pas très indépendante, qu'elle exprime de manière privilégiée l'opinion des personnes qui sont au pouvoir et pas de celles qui sont dans l'opposition. C'est un problème de fond puisque il fut une époque où il y avait quelques autres journaux et depuis que je suis arrivé, j'ai vu que ces journaux, dont certains étaient effectivement assez critiques à l'égard du pouvoir en place, ont disparu. Il serait souhaitable que l'expression puisse être plus ouverte et que les opinions divergentes puissent mieux se faire entendre. Là aussi, la démocratie est une démarche qui se fait progressivement. Dans un pays qui a connu la démocratie depuis quelques siècles, vous êtes plus à l'aise que dans un pays où la démocratie est encore en construction. Cela repose aussi sur le niveau de formation, de compréhension de la population, ce qui mène aux problèmes de l'éducation. Quand vous voyez le nombre de jeunes qui sont en échec scolaire total et qui d'une certaine manière ont du mal à comprendre la société dans laquelle ils vivent, il faut reconnaître que la démocratie déjà à ce niveau là, fonctionne mal. Et ce sont les électeurs de demain.
TPM : Pacte de développement, pacte de progrès, "manne Chirac", on a parfois l'impression que tout ça est utilisé pour du clientélisme politique. Votre opinion ?
P.R. : Il faut bien voir que les dotations dont bénéficie la Polynésie sont souvent des dotations globales. Du fait du statut de l'autonomie, il appartient aux autorités élues territoriales de les mettre en Ïuvre. Certains reprochent, et je l'ai entendu, que ces moyens financiers, dont une large part viennent de l'Etat, sont quelque peu détournés d'une utilisation impartiale pour des objectifs qui sont de nature plus politique, voire clientélistes. Alors on nous dit « les fare MTR sont distribués aux gens qui ont la carte du "parti qui va bien", les DIJ, même chose, tout cela c'est à des fins électorales. Je ne veux pas dire que ces appréciations sont totalement infondées. Le ministre Jean-Jack Queyranne, lorsqu'il est venu à Tahiti, rappelait que certes l'Etat apporte des concours importants au territoire, mais il doit être exigeant sur la manière dont ces concours sont utilisés. C'est-à-dire que nous devons veiller à ce que les objectifs de développement, notamment sur le plan social, soient respectés. Cela signifie que l'Etat, avec le territoire, doit mettre en Ïuvre une évaluation des politiques publiques et voir quelles sont les dispositions à prendre -en renvoyant si nécessaire les conventions Etat-Territoire- pour qu'il n'y ait pas une dérive dans l'usage de ces dotations. Et là, c'est déjà plus difficile. Vous savez que les contrôles que l'Etat fait sont des contrôles de nature financière, mais il ne peut aller jusqu'au contrôle d'opportunité. Même si c'est l'Etat qui apporte le financement, le statut ne lui permet pas d'apprécier l'opportunité de l'usage des financements qui est fait au cas par cas. C'est une sorte de délégation qui, conformément à la logique d'un système de démocratie décentralisée, est assurée au niveau du gouvernement territorial. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que l'essentiel des moyens soit géré par une seule collectivité, le Territoire. Je pense que si les communes étaient beaucoup plus associées qu'elles ne le sont à la gestion et au développement économique et social, nous aurions moins de critiques sur un certain "monopole d'emploi". Cette idée est partagée par Paris d'où le souci clairement exprimé par le ministre de l'Outre-mer de consolider la décentralisation en l'appuyant sur les communes. Là se trouve une des bases de la démocratie. Est-il normal qu'un programme de logements sociaux soit réalisé dans une commune sans que celle-ci, sans que le maire de la commune n'y soit associé ? Est-il normal que certaines mesures pour l'emploi, tels les DIJ, semblent être privilégiées sur tel ou tel secteur de la Polynésie au détriment d'autres secteurs. Ces questions méritent d'être posées.
Il fut une époque où l'Etat a extrêmement allégé ses contrôles. A tel point d'ailleurs qu'en dehors de l'aspect "clientélisme" que vous évoquiez, on a pu parfois parler également de gaspillages. Aujourd'hui, ceci n'est plus admissible. C'est la raison pour laquelle il me semble indispensable, je pèse mes mots, que sans remettre en cause les compétences d'autonomie, il puisse y avoir une concertation plus fructueuse entre les différents partenaires sur les choix de développement et des opérations à financer. Dans cet esprit et conformément au nouveau statut de 1996 a été mise en place la commission tripartite Etat-Territoire-communes ; c'est une novationÉ elle répond à une nécessité largement ressentie de plus grande transparence.
TPM : Cette commission ne peut-elle pas s'étonner que le prix du logement social a doublé en trois ans ?
P.R. : La commission peut effectivement se pencher sur des questions de cette nature. Je souhaite que ce soit un lieu d'échange où on puisse librement débattre d'un certain nombre de sujets d'intérêt général, par exemple du choix des programmes de logement social, du coût de ces programmes, ou les programmes en faveur de l'emploi, et leur efficacité en terme de développement.
TPM : Donc, vous n'êtes pas vraiment informé ?.
P.R. : Comme je vous l'ai dit, les services de l'Etat ont une vision globale. Ils ont d'ailleurs la référence des opérations réalisées par la société "Fare de France", c'étaient des opérations coûteuses. Mais si nous apprenons qu'il y aurait tel ou tel dysfonctionnement, il est normal d'effectuer les contrôles qui s'imposent. De telles informations intéressent l'ensemble des citoyens. Les fonds publics ont un coût et les contribuables, qu'ils soient nationaux ou locaux, ont droit de savoir à quoi servent leurs impôts. Le souci de transparence est indispensable ; ceci d'ailleurs éviterait certains procès d'intention. Prenez l'exemple des subventions de l'Etat versées aux communes ; l'Etat affiche clairement et de manière détaillée dans des documents publics la ventilation de ses dotations, commune par commune, nous avons une totale transparence. C'est important, parce que cela évite de faire un "procès" en partialité. Dans le même esprit, il est normal de savoir comment sont répartis les logements sociaux, ou comment sont répartis les DIJ ; ceci permet de s'assurer les critères d'attribution sont aussi objectifs que possible. Avec toutes les rumeurs qui circulent -et vous savez combien nos sociétés insulaires entretiennent les rumeurs- les citoyens ne savent plus où est le vrai et où est le faux. Pour éviter cela soyons soucieux de mieux informer les citoyens. Quand j'entends dire « des milliards, ont été versés à la Polynésie, où sont-ils allés ? » Cette question laisse supposer une réponse implicite, nous n'en avons guère vu l'usage mais ils n'ont pas été perdus pour tout le monde !!! C'est un raisonnement particulièrement simpliste. Heureusement il est aisé de constater l'importance des investissements lourds réalisés en Polynésie française et qui se poursuivent. Visitons la région et comparons la qualité des équipements ou les niveaux de vie : nous sommes privilégiés.
TPM : Lors des émeutes, comment ce fait-il que Tahiti eut l'air d'une "ville ouverte" ? Tout le monde se pose encore la questionÉ
P.R. : Une ville ouverte ? Les moyens que nous avions n'étaient pas en proportion de l'émeute à laquelle nous avons dû faire face. Il y eut incontestablement une mauvaise appréciation de la situation, avant même que n'éclate l'émeute. Le 6 septembre, l'ensemble des moyens mobiles d'ordre public disponibles sur Tahiti ont été positionnés à l'aéroport de Faa'a, de telle sorte que lorsqu'il y a eu ce mouvement d'émeutiers organisés sur Papeete, ne restaient opérationnels que les moyens relevant de la direction de la sécurité publique (Police nationale) qui ont été utilisés pour protéger les bâtiments publics les plus sensibles. Mais il est évident qu'une soixantaine d'hommes dispersés ne peuvent pas faire face à deux cents émeutiers organisés, casqués et qui avaient l'intention de casser ou de brûler. La reprise en main de la situation n'a pu se faire que lorsque les forces de gendarmes mobiles -du fait de renforts arrivés sur l'aéroport- ont pu faire mouvement sur la ville de Papeete et prêter main forte à la Police nationale.
TPM : En qualité d'homme d'honneur, est-ce que vous pouvez me dire qu'il n'y a pas eu manipulation ?
P.R. : C'est une hypothèse que j'ai entendue régulièrement, suivant laquelle que tout cela aurait été manigancé à l'avance, une sorte de "coup monté" qui aurait été un bon moyen de neutraliser les antinucléaires, voire les indépendantistes, en laissant les émeutiers rentrer sur Papeete et mettre le feu au centre ville. Un tel plan aurait été particulièrement machiavélique et au demeurant fort dangereux. Je puis vous assurer que cette idée n'est passée dans l'esprit de personne. On n'a pas laissé entrer les émeutiers pour le plaisir de les laisser casser. Le bruit avait couru que certains voulaient mettre le feu à l'Assemblée de Polynésie ; c'est donc là que, de manière privilégiée, ont été déployés les forces de Police. Les casseurs ont essayé de rentrer à l'intérieur de l'Assemblée, ils en ont été expulsés. Comme vous le savez, ce qui étonne c'est que des magasins, dans des zones bien délimitées, ont été incendiés et pillés, alors que certains autres n'ont pas été touchés. Je n'ai pas d'explications là-dessus, mais personnellement j'écarte toute idée de manipulation. Il y a, je crois, vraiment eu la volonté de venir casser, l'opposition à la reprise des essais nucléaires ayant servi de prétexte. Comme vous le savez, beaucoup de jeunes se sont joints aux émeutiers, et sont venus piller les magasins. C'est un phénomène que, malheureusement, nous avions déjà connu. Des gens qui ont été arrêtés par la police le soir du 6 septembre, les trois quarts étaient de jeunes inactifs. Ils ont profité en quelque sorte des circonstances..
Méfions-nous que ce genre de situation ne se reproduise pas, car c'est aussi un moyen d'expression des malaises sociaux.
Propos recueillis par Alex W. du PREL