"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988

Chères lectrices,
Chers lecteurs




Le rideau d'hibiscus déchiré

Les terribles inondations de la mi-décembre à Tahiti nous ont fait
redécouvrir un aspect que nous avions tendance à oublier : les laissés pour
compte de la société "moderne" que nous imposent nos leaders. On ne les
voyait plus beaucoup, ces Tahitiens marginalisés par la société de
consommation, car ils étaient allés se cacher dans le fond des vallées,
loin, loin des belles villas, loin des belles limousines climatisées aux
vitres teintées, loin de l'aéroport avec ses jets pour aller faire du
shopping à Los Angeles ou Honolulu. Tout d'un coup, déluge oblige, le
"rideau d'hibiscus" s'est déchiré et c'est tout un univers de misère qui
nous interpelle.
Tristes baraques en pinex délavé, pauvres bicoques en tôles rouillées et
pourtant si joliment décorées avec amour et quelques pare'u par des mamans
tentant de préserver leur dignité de "pauvre" face à la honteuse opulence
de toute une caste enrichie par 35 années de transferts de métropole. Comme
l'écrivait l'anthropologue Robert Levy dans la partie "débats" du livre
"Tahiti côté montagne", « ils sont pauvres d'une façon particulière du fait
que leur vie se déroule parmi d'autres groupes dont les conditions
matérielles sont tellement supérieures aux leurs », une pauvreté, voire
misère « digne et fleurie » à Tahiti selon le père Hoddée.
Cela a été écrit voici 16 ans déjà, et rien n'a changé, bien au contraire
et ce qui est terrible, c'est de savoir que le système actuel aggrave
encore et de plus en plus la cassure dans la société, efface tout ce qui si
magnifique dans la manière polynésienne de vivre. C'est certainement ce qui
motiva à l'époque le Dr Patrick Howell de citer Paul Valery : « Je n'hésite
pas à le déclarer, le diplôme est l'ennemi mortel de la culture », car à
Tahiti, le diplôme imposé par une société importée d'ailleurs et maintenu
surtout pour préserver les privilèges, a essentiellement servi à exclure,
marginaliser, prolétariser le Tahitien resté naturel ; nous ne le
répéterons jamais assez. Turo a Raapoto confirme en expliquant que « la
non-réussite dans un système inadapté au Polynésien ne donne pas aux autres
le droit de le traiter comme un moins que rien. Le Polynésien est victime
d'une forme de société, mais sa dignité n'en est pas pour autant altérée. »
Que va-t-il se passer maintenant pour ces gens qui ont perdu le peu qui
était tout pour eux ? Ils vont être pris en charge par le système
clientéliste, si omniprésent et si bien rôdé sous nos latitudes, duquel ils
s'étaient échappés loin pour préserver un peu de leur mode de vie
communautaire. Ils vont donc devenir des assistés, on leur expliquera que
c'est grâce au "bon parti", ils auront une maison MTR ("mission
territoriale de la réélection"). Mais combien de temps encore garderont-ils
leur dignité ?

Autre sujet : en cette année 1999, les taux de notre TVA viennent de
doubler. Le « Miracle de l'ITSTAT », notre institut de statistiques qui n'a
décelé que 0,7% d'inflation en 1998 se poursuivra-t-il ? Un miracle
tellement fabuleux au vu des prix (même le riz et la farine ont augmenté de
3%) que certains parlent déjà d'installer une sorte de grotte de Lourdes
dans ses bureaux. Questionné à ce sujet, le président Flosse se dit «
confiant ». Il sera intéressant de voir quels indices auront une chance
d'être "manipulés" cette année.

Enfin, nous désirons bien sûr présenter nos v¦ux de bonheur et de
prospérité à tous nos lecteurs et abonnés, à Tahiti comme ailleurs,
lecteurs qui deviennent de plus en plus nombreux puisque qu'en deux ans,
nous avons augmenté notre tirage de 3000 à 3800 exemplaires, petit à petit
bien sûr, car je suis plutôt connu pour ma "gestion rigoureuse" que
certains osent qualifier d' "avarice".

Merci surtout à nos fidèles annonceurs sans lesquels nous ne pourrions pas
survivre, merci encore à tout ce véritable "réseau de copains" de par le
territoire et à travers le monde - en réalité la colonne vertébrale du
journal - tous des hommes et femmes formidables qui continuent à
s'intéresser à nos îles et aux Polynésiens qui les peuplent, à notre ami
qui s'occupe du site Internet, à vous tous qui aimez l'aventure qu'est la
publication de ce magazine.

Comme Tahiti vit actuellement une grande mutation de société, à une vitesse
incroyable, l'année 1999 devrait encore être riche en sujets et événements,
de quoi remplir nos pages avec intelligence.

Alors BONNE et HEUREUSE ANNÉE 1999 à tous et merci, merci, encore une fois
pour votre confiance et fidélité.


Alex W. duPREL

Directeur de la Publication / Editor
TAHITI-PACIFIQUE Magazine
B.P. 368, MOOREA, French Polynesia
Tel : (+689) 56 28 94
Fax : (+689) 56 30 07
<tahitipm@mail.pf>

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