"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988

Chères lectrices,
Chers lecteurs




Une tradition de Tahiti

Ce mois­ci, nous vous avons bichonné un numéro très varié, comme toujours avec plein de sujets intéressants, nous l'espérons. Le dossier sur les problèmes de l'alimentation des Polynésiens du docteur Boissin, que nous saluons ici, devrait vous intéresser car c'est aussi une belle leçon d'histoire écrite avec simplicité où l'on découvre l'amour que cet homme porte à la Polynésie. Il déplaira peut­être à quelque uns de ces individus adeptes du modernisme à tout prix, qui s'insurgent contre toute écriture qui perçoit du beau dans le Tahiti d'antan. Oser admirer l'intelligence et l'harmonie dans la société des Polynésiens d'antan vous classe pour ceux­ci de suite dans la catégorie des " rétrogrades ", voire " indépendantistes ". C'est là une nouvelle sorte de paranoïa à la mode politique qui est de plus en plus responsable de l'ignorance profonde de notre jeunesse pour son histoire.

Pourtant, se lamenter sur le passé est une des " grandes traditions de notre Fenua ", comme le prouvent ces lignes que nous avions déjà publiées voici six ans (qui s'en souvient ?) et qui devraient égayer votre journée:

L'autre jour, une connaissance me demanda depuis combien de temps je résidais en Polynésie.

­ " 23 ans ", répondis-je, à quoi il répliqua: " Mon pauvre, vous êtes arrivé trop tard. Ah !, si vous aviez connu le Tahiti de 1960 ! C'était superbe ! "

Dans mes pensées, je lui donnais raison mais tant pis, que faire ? Par hasard, quelques jours plus tard, fouillant dans mes archives, je suis tombé sur un billet de feu Ralph Varady, journaliste, éditeur de " O'Tahiti Magazine " et écrivain de Polynésie jusqu'à sa mort en 1976. un article de quelques lignes publiées dans un petit guide de 1968.

M. Varady explique que lors de son arrivée à Tahiti en 1955, on lui déclara de suite: " Mon pauvre, vous êtes arrivé trop tard. Vous auriez dû venir juste après la guerre ! Mon Dieu, que Tahiti était réel alors. Maintenant, avec deux hydravions par mois, c'est fichu ! "

Par la suite il rencontra un Européen arrivé en 1937 qui lui confia:

" Lorsque j'ai débarqué, j'étais déçu au point de repartir, car les gens ne faisaient que me répéter: " Cher! ami... vous êtes arrivé trop tard... Tahiti est fini, c'est foutu. C'est dans les années vingt qu'il fallait venir... Tout a tellement changé maintenant... "

Quatre ans plus tard, Varady rencontra un vieux géomètre suisse, résident à Mataiea depuis 1917, le plus vieil expatrié de Tahiti à l'époque. Le vieillard lui déclara:

" Lorsque je suis arrivé, les vieux m'ont dit que j'avais raté le coche. J'aurais dû arriver au début du siècle. Car Tahiti était si beau alors ! "

Pour Ralph Varady, la morale de l'histoire est que finalement, nous arrivons tous trop tard... à moins qu'il ne soit jamais trop tard...

Qui sait, peut-être que lorsque le capitaine Cook a posé pied à terre à Tahiti en 1769, il fut accueilli par le chef Hapai, en grande tenue, avec ces mots précieux: " Oh, quelle immense pitié, cher tomana Tute Tane, mais vous êtes arrivé bien trop tard. [lamentations des vahine]... Mon pauvre, tout a changé, tout est foutu. "Aue tatou­e". si seulement vous aviez pu arriver en même temps que le sieur de Poutaveri (Bougainville) L'an passé, alors là, oui. vous auriez connu le vrai Tahiti ! "

Bonne lecture à tous.

Alex. W. du PREL

Directeur de la Publication.

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Copyright Tahiti Pacifique magazine 1997