"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988

Chères lectrices,
Chers lecteurs




La boucle est bouclée

Parfois nous nous sentons pousser des ailes de devin, de Madame Soleil,
l'extralucide tant il arrive (hélas) ce que nous avons craint. Ainsi, voici
plus de trois ans, nous écrivions plusieurs articles dans lesquels nous
nous inquiétions des effets pervers que l'application (tardive) de la Loi
Pons (qui permet au riche contribuable métropolitain de déduire de ses
impôts 50% du coût de la construction) pour la construction massive de
nouveaux hôtels pourrait avoir sur l'industrie hôtelière de nos îles régie,
alors par les lois du marché, et notamment vis-à-vis des hôtels existants
construits avec des fonds propres qui se trouveraient alors confrontés à
une concurrence déloyale face à des établissements subventionnés. « Mais
non, mais non » nous répondait-on, « il faut de nouveaux hôtels pour
relancer le tourisme » bien que le taux moyen de remplissage clopinât
depuis des années autour de 60% (chiffres ITSTAT). « Il faut comprendre que
sans la Loi Pons personne ne construira un hôtel ici » déclarait-on, ce qui
est vrai, mais en oubliant de préciser que c'était parce qu'il n'y avait
pas de véritable demande du marché pour de nouvelles chambres.


A peine les premiers hôtels mis en chantier grâce à cette Loi Pons, voici
que le gouvernement local créa une version locale de cette Loi Pons, la Loi
Flosse (qui permet au riche contribuable tahitien de déduire de ses impôts
40% du coût de la construction) ce qui, en théorie, offre à celui qui
bénéficie des deux systèmes de défiscaliser jusqu'à 90% des coûts d'un
projet. Le ministère des Finances de Paris se rebiffa devant tant de
"subventions", mais le président Flosse leur expliqua alors que sans Loi
Pons et Loi Flosse, « personne ne construira des hôtels dans nos îles ». Et
il réussit, fin janvier, à persuader Bercy que la Loi Pons « n'est pas une
subvention » (mais alors, c'est quoi ?), du moins c'est ce qu'il a déclaré
après son retour à Tahiti.

Entre-temps, les premiers hôtels financés Loi Pons-Loi Flosse ouvraient
avec fanfare et tamure, mais restaient désespérément vides ce qui n'est pas
trop grave puisque la fameuse "tunnelisation" de la Loi Pons permet aussi
de défiscaliser les pertes éventuelles. Mais un hôtel de luxe vide, ça fait
"chiffon", alors pour remplir leurs chambres, ceux-ci commencèrent à
"brader", d'abord discrètement, ensuite officiellement afin de "chiper" les
clients habituels des hôtels existants lesquels, bien sûr, se plaignirent
d'une telle concurrence déloyale, pourtant prévisible. Quelle fut alors la
réaction du président-ministre du Tourisme début janvier ? Que la Loi
Flosse sera dorénavant aussi accordée aux anciens hôtels pour les rénover,
agrandir ou les réorganiser, tout comme des aides financières directes
seront octroyées aux petits hôtels familiaux, comme on vient de le voir à
Huahine.

Quel bilan peut-on ainsi faire des cinq dernières années de la grande
stratégie de "développement touristique" de la Polynésie française ?
Dorénavant toute l'industrie hôtelière de nos îles, jadis pourtant capable
de tenir sa place dans la réalité du marché de la concurrence mondiale, est
devenue d'une manière ou d'une autre dépendante de subventions nationales
ou territoriales toujours croissantes. En d'autres termes, avoir faussé le
jeu économique a rendu un autre secteur de l'économie de Tahiti dépendant
des subsides publiques. Le plus incompréhensible dans cette saga est que
tout ceci n'est que la répétition d'erreurs (avec quelques variantes)
commises auparavant dans les DOM, aux Antilles notamment.

Mais un autre effet pervers s'est mis en place : grâce à la Loi Flosse,
pratiquement toutes les grosses entreprises de Tahiti qui font des
bénéfices défiscalisent leurs impôts, ce qu'ils n'ont pas tort de faire
puisqu'on le leur offre sur un plateau doré. Mais ceci réduit environ de
40% leur contribution au budget local, une recette qui n'est pas compensée
par les nouvelles entreprises créées puisque, grâce au Code des
investissements, l'autre généreuse subvention, elles sont exonérées
d'impôts pendant au moins huit ans.

Mais alors qui paie le manque à gagner pour un budget territorial toujours
en croissance ? Les petits bien sûr, ceux qui n'ont pas de profits à
défiscaliser. Morale de cette saga tropicale : les riches deviennent plus
riches, les pauvres... etc.

Bonne lecture à tous et Kung Hi Fat Choy à nos amis originaires de l'Empire
céleste.


Alex W. duPREL

Directeur de la Publication / Editor
TAHITI-PACIFIQUE Magazine
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Tel : (+689) 56 28 94
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