"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."
René CHAR, 1907-1988
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lectrices, Chers lecteurs |
| Néo-colonialisme
européen... Internet est une invention formidable, mais qui réserve aussi des surprises. Ainsi arrive un matin un E-mail (certains essaient d'imposer le nom stupide de "mèle") en provenance d'un yacht allemand ancré à Fatu Hiva, aux îles Marquises, lequel nous demande de l'aide : « Nous sommes actuellement en train de nous battre contre une "loi" de caution de rapatriement que le gendarme ici exige, bien que nous battons pavillon allemand. Les Européens, d'après ce que nous comprenons, ont le même droit que les Français.» Nous expliquons à cette dame que « la Polynésie française, ce n'est pas l'Europe » en lui suggérant de payer, comme tous les autres étrangers, ladite caution qui lui sera remboursée à son départ. « Je veux exposer les hypocrisies d'un gouvernement qui a signé le traité de Maastricht et qui veut en avoir les avantages sans devoir faire face aux devoirs... » nous réplique alors la touriste flottante avec une sévérité tout à fait germanique. Le fait qu'une dame "purutia" de Basse-Saxe se sente soudainement « chez elle » aux Marquises et à Tahiti donne à réfléchir et devrait interpeler les autorités de Paris, de Bruxelles et les spécialistes de la justice administrative à Tahiti. En effet, cette incongruité commença un jour de 1841 lorsque qu'un "yacht" militaire, la frégate Reine-Blanche, accompagné d'une corvette et de deux grands bricks de guerre, jeta l'ancre dans la baie de Vaitahu. Là, sur ordre du roi Louis-Philippe, le contre-amiral Dupetit-Thouars descendit à terre accompagné de 60 soldats en armes et ordonna au chef marquisien Iotete d'apposer une croix au bas d'un document auquel il ne comprenait rien. En échange, on lui donna un vieux costume datant de Louis XV. Tel fut l'acte colonial qui annexa les Marquises à la France afin d'y fonder une colonie pénale, sans bien sûr l'avis des autochtones. Les troupes s'installèrent, construisirent un fort et les choses se gâtèrent. La guerre dura deux ans et fit de nombreuses victimes, essentiellement chez les Marquisiens. Une fois ceux-ci temporairement vaincus (« Mission accomplie » !) et malgré l'absence totale d'ordres à cet effet, Dupetit-Thouars fit route vers Tahiti où il imposa le protectorat de la France à la reine Pomare, prétextant l'expulsion de deux prêtres catholiques. Cette autre "victoire" coloniale rattacha les Marquises à Tahiti, toujours à l'insu des populations, et depuis ce jour les Français déclarent « ici, nous sommes chez nous ! » 140 ans et plusieurs guerres plus tard, toujours sans consulter les populations des Marquises ou de Tahiti, le gouvernement de France -à 20.000 km de nos îles- décida de sceller une union avec les autres pays de l'Europe et signa une myriade de traités à cet effet. C'est pourquoi, le 7 juillet 1988, Daniel Millaud, sénateur de la Polynésie française interpela le ministre des Dom-Tom à la tribune du Sénat pour s'inquiéter de « l'application de la règle de la réciprocité [...] avec toutes les conséquences prévisibles sur le niveau de l'immigration dans ces territoires et sur le niveau de l'emploi d'ores et déjà préoccupant.» Rassurant, le ministre Le Pensec lui répondit alors, toujours au perchoir du Sénat, que « le passeport européen n'autorise pas son titulaire a s'installer dans un territoire d'Outre-mer (...) Le séjour de plus de trois mois est soumis à l'obtention d'un visa qui est délivré après consultation du haut-commissaire de la République et du conseil des ministres du territoire... Cette législation est en parfaite conformité avec les règlements européens et ne fait courir à la France aucun risque de condamnation... » Hélas, soit le ministre n'a pas été entendu par les tribunaux administratifs, soit il mentait éhontément puisque pratiquement tous les Européens qui ont depuis esté devant les tribunaux administratifs ou européens ont obtenu le droit de s'installer dans nos îles. Et comme « les juges ne peuvent qu'appliquer la loi, rien que la loi » [de métropole], la Polynésie française devient dorénavant aussi un « ici, nous sommes chez nous » pour 320 millions d'Européens selon la logique judiciaire et européenne, et ceci toujours sans qu'on n'ait jamais demandé le moindre avis aux populations de nos îles, pas plus en 1998 qu'en 1841. On ne peut donc qu'en déduire que l'application aveugle des décrets et des lois administratives et européennes à nos îles transforme -à leur insu- les tribunaux en sournoises armes colonisatrices infiniment plus efficaces que les troupes de Louis-Philippe... et fait de l'Europe, par son obstination à vouloir imposer ses lois jusqu'au fin fond des Marquises, le digne successeur néo-colonialiste du vice-amiral Dupetit Thouars. Quand enfin aurons nous droit à un référendum ? Bonne lecture à tous !
Alex W. duPREL Directeur de la Publication / Editor |
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Copyright Tahiti Pacifique magazine 1999