Comme ce magazine est le numéro 96, nous fêtons le 8ème anniversaire de Tahiti-Pacifique. Permettez-nous de vous offrir un éditorial emprunt d'humour mais aussi de bon sens.

Voici un mois, un citoyen expédia une lettre à un quotidien de Tahiti pour y vilipender les fonctionnaires en les traitant d' « eunuques » (hommes castrés). L'insatisfait citoyen, hélas, écrivait là des mots très injustes à l'encontre de cette catégorie de fonctionnaires de l'ancienne Chine à laquelle il faisait référence. Car les eunuques,un corps de loyaux serviteurs, administraient et géraient admirablement le pays des empereurs de l'Empire Céleste. Bien que détestés par le reste des membres de l'administration, les eunuques accomplissaient les missions qui leur étaient confiées avec efficacité, honnêteté et discrétion. Certains d'entre eux devinrent même célèbres, tel le remarquable général-amiral Zheng-He qui combattit contre les Mongols et mena des expéditions jusqu'en Afrique en passant par l'Indonésie. Qui plus est, les eunuques étaient surtout réputés pour être rigoureusement incorruptibles et dévoués à leurs fonctions, raison essentielle de leur impopularité. Sagesse orientale oblige, la Chine les utilisa pour gérer l'Etat et non, tels les Italiens, juste pour les faire chanter (les "castrats").

Nous, enfants de la démocratie tropicale de Tahiti - surtout ceux fraîchement arrivés de Métropole - ne cessons de réclamer de notre gouvernement toujours plus de services et de prestations, pour lesquels, par ailleurs, nous ne sommes guère prêts à payer ; heureusement, pour l'instant, la France est là. Les représentants que nous élisons à Tahiti, dans leur désir de plaire et suivant la tradition trentenaire du clientélisme, autre cadeau du C.E.P. (Centre d'Expérimentation nucléaire du Pacifique), nous promettent toujours plus, du tunnel sous le lagon à l'aéroport international aux Marquises, sans parler des projets de prestige que nous paierons tous très, très cher par le biais de la présente et futures augmentations de la T.V.A.. Aussi, et nous le savons pour l'avoir tant vu, nos dirigeants et leurs fidèles serviteurs sont prêts à trahir leurs meilleurs amis plutôt que de mettre en péril leurs fonctions et les avantages qui s'y rattachent.

Aussi les éternels pessimistes affirment que les faiblesses de nos gouvernements ne sont qu'un « reflet de la nature humaine » et que celles-ci, hélas, ne peuvent être changées. Pourtant l'histoire et ses eunuques nous démontrent le contraire :

En effet, aucun désir sexuel ne vient distraire les eunuques de leurs responsabilités envers le peuple, ce qui leur assurent une absence de soucis familiaux. Aucune tentation pour le népotisme ne peut jouer puisqu'ils n'ont pas de fils, de fille ni de gendre à caser, pour qui créer un poste de fonctionnaire, de successeur. Aussi, le désir de vouloir constituer des fortunes de famille est futile pour les eunuques puisqu'ils n'ont point d'héritier. Tout comme ils n'ont pas non plus à leurs côtés des épouses insatisfaites qui les poussent à toujours s'octroyer des rémunérations plus élevées et des avantages encore plus considérables, si ce n'est des détournements de main-d'¦uvre pour aider l'épouse dans son entreprise commerciale privée. Enfin, les eunuques sont à l'abri de toute tentation sexuelle pouvant les impliquer dans un scandale ; loin de toute angoisse liée aux pulsions sexuelles (le cas du président Clinton est un exemple parfait des conséquences de telles pulsions), hors d'atteinte d'ambitieuses et ruineuses maîtresses (demandez donc à Roland Dumas ce qu'il en pense), ils peuvent se consacrer exclusivement et entièrement aux affaires de l'Etat.

A la lumière de ce qui est écrit ci-dessus, il apparaît comme évident qu'une simple opération chirurgicale, peu coûteuse mais incontournable pour devenir un authentique eunuque, pourrait libérer les dirigeants de France, de Tahiti, des USA et d'ailleurs de bien des sources d'angoisse et de tentations, et par là même remettre de l'ordre dans les gouvernements.

Malgré ce qu'affirment d'éminents psychologues, il serait donc tout à fait possible de changer la nature humaine de nos gouvernants. Ils se pourrait qu'ils souffrent de leurs faiblesses tout simplement parce qu'ils n'ont pas vraiment été « taillés » pour leurs hautes fonctions.

Bonne lecture et merci pour votre fidélité.

Alex W. duPREL

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