"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988


Chères lectrices,
Chers lecteurs




Retour au Paradis...

Partir en vacances, c'est toujours revigorant, même si les grandes vacances de Tahiti sont accordées en plein hiver austral, mimétisme et tradition coloniale obligent. Ah, quoi de plus beau que de rouler plus de 4000 kilomètres sur les routes désertes mais superbes dans les déserts de l'ouest américain pour vous "blanchir" le cerveau !

Sur le point de prendre l'avion du retour, nous découvrons l'entrée de l'aérogare de San Francisco bloquée par une interminable file de chariots bondées de sacs, caisses et valises qui s'étire sur un tiers de l'immense aéroport. Y aurait-il un vol vers la Papouasie, pays sinistré par un raz-de-marée et vers lequel on expédie des secours ? A moins que ce vol soit vers un pays du Tiers-Monde où une révolution a anéanti le commerce...

Les voyageurs américains ébahis et effarés par le spectacle, se questionnent. Nous découvrons vite qu'il ne s'agit pas là d'un vol vers un pays où a sévi une catastrophe naturelle, mais que ce sont les Tahitiens, tous "sapés" des pieds à la tête avec des habits neufs et qui rentrent chez eux après une semaine de shopping aux USA, vers un pays où sévit une autre sorte de catastrophe, non naturelle, celle-là : tout y est de trois à quatre fois plus cher. Notre admiration va envers la compagnie aérienne qui a réussi à charger cette montagne de marchandises dans un Boeing tout aussi bondé côté passagers.

Après huit heures de vol, l'aéroport de Tahiti s'avère bien trop petit pour toute cette foule et ses bagages, une situation qui se transformera en chaos total après que deux autres avions tout aussi bondés se posèrent, surtout qu'un seul des tapis roulants pour les bagages fonctionnait.

Puis vint le passage à la douane, moment tant redouté par tout habitant de Tahiti et de ses îles qui revient de l'étranger, car il se sent alors comme un horrible criminel, coupable d'avoir osé acheter ce dont il rêvait ou avait besoin à un prix normal. Heureusement, les deux uniques douaniers affectés à la longue file "résidents" étaient totalement débordés et durent vite accélérer le passage, sans inspection, de l'armée de "fraudeurs", la plupart de braves gens qui pour la première fois quittaient leur île. Dès l'arrivée dans le hall, bondé lui aussi, le sentiment de soulagement de tous, presque euphorique, était franchement palpable.

Sur la route vers Papeete, on eut le droit de redécouvrir cette autre spécificité tahitienne : l'embouteillage permanent, devenu une nouvelle ressource de curiosité touristique de cette île. Pourtant, les embouteillages commençaient à devenir la norme déjà en 1989 et depuis, le parc automobile a plus que doublé mais on n'a pas rajouté un kilomètre de route, ni un parking. Mon Dieu, quel "bordel" ça va être à la rentrée des classes, fin septembre. Comme on dit, « Gouverner, c'est prévoir », voire « On a le gouvernement qu'on mérite »...

Après une agréable traversée en ferry, Moorea dévoile ses charmes mais un passage sur la route des Ananas, certainement la route la plus touristique de la Polynésie française, nous remit les pieds sur terre : c'était toujours une piste défoncée, ravinée par quelques lointaines pluies et où toute conduite en scooter, même en voiture, est dangereuse. Bien que nos dirigeants clament que « nous devons vivre du tourisme, c'est notre seule chance », l'état lamentable, tiers-mondiste et quasi permanent de cette route hautement touristique démontre que tout ça n'est que langue de bois, un discours vide. Je verse une larme chaude en pensant que même le chemin le plus reculé et désert au fond de l'Arizona est une autoroute comparée à cette honte de Moorea, tout en me posant la question que tout le monde se pose en empruntant ce chemin : « Mais où donc sont passés les milliers de milliards de la rente atomique ? »

Pour la petite histoire, sachez qu'une niveleuse bancale viendra quelques jours plus tard tenter de remplir une partie des trous de la route avec un peu de soupe corail. La raison ? « Le ministre (territorial) de l'Agriculture vient faire une visite » fut la discrète explication. Quelle folie ! On répare (mal) la route pour une grosse huile locale qui nous coûte tous très cher, mais pour les touristes, ceux qui nous apportent les devises qui nous permettre de vivre, on s'en fout ! Il est vrai que nous vivons dans un système clientéliste et que « le touriste ne vote pas ». En êtes vous sûr ? Si justement, il vote aussi, mais avec son portefeuille et ira la prochaine fois ailleurs, là où on pensera à lui !

Fini les vacances ! Comme vous avez pu le lire, je suis vite retombé dans la réalité du quotidien du Paradis.

Bonne lecture à tous


Alex W. duPREL

Directeur de la Publication / Editor
TAHITI-PACIFIQUE Magazine
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