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Les retombées de l'autre bombe
Plus que jamais dans son histoire, hormis la période des premiers contacts
entre Polynésiens et Européens, la Polynésie française vit une profonde
mutation de sa société.
Après le ronron tranquille d'une petite société tropicale isolée, notoire
pour sa faible population profitant d'îles fertiles à la nature généreuse
jusqu'aux années 60, Tahiti vécut l'impact d'un soudain intérêt de la
France pour des raisons nucléaires. Les 30 années du CEP sont la première
véritable volonté de l'Etat français pour un développement de notre
territoire, oublié auparavant. Hélas, le plongeon dans la modernité se fit
au coup par coup et dans la confusion car aucun plan à long terme
n'existait, nous menant droit vers le « désastre écologique » actuel et les
embouteillages de Papeete.
Aussi, le rigide carcan des procédures innées à l'administration nationale
d'Etat assura que les bénéficiaires des transferts massifs furent
uniquement ceux que le système bureaucratique reconnaît, c'est-à-dire les
"assimilés" et les fonctionnaires. Cet Etat, de tradition européenne où
seul l'écrit a de la valeur, est incompréhensif et franchement impuissant
face à un système autochtone traditionnel et oral, car il est incapable de
l'appréhender, de le cerner avec sa "paperasse". Ainsi, au fil des « trente
glorieuses atomiques », il a inconsciemment créé la sévère fracture sociale
de Tahiti en prolétarisant le "naturel" tout en enrichissant "l'assimilé".
Pis encore, le seul moyen pour les "naturels" des îles d'accéder à quelques
misérables miettes de la fabuleuse rente nucléaire était d'avoir beaucoup
d'enfants afin de toucher les allocations. Ainsi fut déclenchée la bombe
démographique dont les retombées sur notre société seront infiniment plus
graves que celles du nucléaire ; depuis 1960 la population du territoire
est passée de 76 000 aux 226 000 âmes actuelles, dont plus de la moitié ont
moins de 21 ans. L'autre problème qu'il faudra affronter est qu'une large
partie de notre jeunesse a été accoutumée à un niveau de vie élevé, initiée
à la société de consommation de pays développé qui est artificielle pour
nos îles, car en disproportion avec leurs ressources naturelles. Comme le
luxe d'une génération devient l'indispensable de la suivante, nos jeunes
devront s'attendre à de grandes frustrations futures car le "gâteau" offert
par la France va diminuer alors que le nombre des "convives" continuera à
augmenter.
Pour tenter de contrer les difficultés qui s'annoncent, le gouvernement
essaie de créer des industries de remplacement, tourisme et petites
entreprises, afin d'éviter un chômage massif qui pourrait, à terme,
déclencher de graves troubles sociaux. C'est louable, bien sûr, mais
l'obstination du gouvernement pour le maintien des inégalités et des
privilèges sape, hélas, toute chance de réussite. En effet, comment les
petites entreprises, seules capables de créer des emplois, peuvent-elles
concurrencer les grandes sociétés qui sont exonérées d'impôt, de patente,
qui voient même leurs employés subventionnés grâce aux Loi Pons, Loi
Flosse, DIJ (dispositif d'insertion des jeunes), au code des
investissements et d'autres exonérations qui ne sont pas offertes aux
petits ? Tout le tissu économique de Tahiti est désormais vicié, la cascade
des subventions ayant faussé le jeu.
Le système des DIJ et des multiples aides à l'emploi, pourtant mis en place
pour des raisons honorables, a pour résultat que plus un patron n'embauche
un jeune pour un emploi vrai et durable car il n'est pas subventionné.
L'emploi précaire et temporaire est ainsi devenu la nouvelle norme du
territoire, sans que cela ait apporté une augmentation de son nombre, comme
le dévoilent les dernières statistiques.
Bien sûr, il faut s'occuper des jeunes et les occuper, c'est certain. Mais
un autre phénomène devient de plus en plus apparent à Tahiti :
l'embrigadement de milliers de jeunes dans des formations politiques et
para-politiques, surtout du parti majoritaire. Le défilé des "chemises
oranges" sur le front de mer de Papeete lors des célébrations du 29 juin der
nier a surpris plus d'un observateur. La création de ce GIP (groupement
d'intervention de la Présidence, rebaptisé depuis peu "de la Polynésie")
inquiète par son "parfum" de milice perçu le lendemain des émeutes de 1995,
au site de Paihoro et par son comportement à l'égard de pêcheurs sur
l'atoll de Tupai.
Si ces impressions sont fausses, ne sont qu'un malentendu, c'est alors
parce que la population n'est pas informée du type de société que le
gouvernement a choisi pour notre avenir. Est-ce une politique de "Rustines"
destinée à maintenir le couvercle sur la marmite sociale pour 10 ans, suivi
d'un « après moi le déluge » ? Ou existe-t-il réellement un plan à long
terme, réfléchi, sérieux, pour le bien de toute la population ?
Si la seconde hypothèse est la bonne, il serait alors grand temps de
médiatiser ce plan, de l'expliquer, pour qu'il devienne celui de tous. Et
comme nous sommes de nouveau acceptés au gouvernement (lire page 11), nous
serons toute ouïe.
Bonne lecture à tous et merci pour votre fidélité.
Alex W. duPREL
Directeur de la Publication / Editor
TAHITI-PACIFIQUE Magazine
B.P. 368, MOOREA, French Polynesia
Tel : (+689) 56 28 94
Fax : (+689) 56 30 07
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