"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988

Chères lectrices,
Chers lecteurs




Un jeu très dangereux...

Que penser de la grande messe flossienne à Rarotonga ? (lire "Actualité", pages 7 à 10). Elle est indéniablement l'expression de deux facteurs : d'abord, c'est une mise en application dans toutes ses limites des nouvelles compétences accordées à la Polynésie française dans le statut de 1996 ; ensuite cela semble être l'expression d'une vengeance de M. Flosse vis-à-vis du gouvernement Jospin qui ne l'a ni consulté, ni invité à faire partie de la délégation française à Rarotonga. Certainement doit-on rajouter à cela une amertume apparente depuis le changement de majorité en France, car ces élections ont "grippé" une machine bien huilée dans laquelle tout le monde, de Chirac en passant par Juppé, était attentif aux désirs de M. Flosse.

Mais il faut surtout replacer les choses dans leur réalité : Qu'est la Polynésie française ? C'est un territoire isolé de 220 000 habitants au milieu du Pacifique qui a acquis -pour une partie de sa population seulement- une prospérité tout à fait étonnante et artificielle grâce à une subvention massive des deniers des contribuables français : 150 milliards Fcfp, (7 milliards FF) en 1996, soit l'égal de toutes les subventions perçues par tous les Etats insulaires anglophones du Pacifique -dont l'immense Papouasie-, toutes sources confondues.
Tahiti est donc le champion des subventionnés et l'an passé nos subsides ont encore battu tous les records. Or que faisons-nous ? Au lieu d'être modestes, de rester cachés en remerciant Dieu pour notre bonne chance, nous frimons et tentons d'impressionner quelques leaders éphémères de micro-pays comme Niue (2200 âmes), Tuvalu (9000 âmes) ou le Kiribati (72 000 âmes).

Aussi, en contradiction totale avec le "Pacific Way" qui commande de ne pas "faire honte" à son voisin en étalant la richesse que lui n'a pas, nous transportons des limousines de 15 millions à travers 1800 kms d'océans afin de pouvoir parader devant une population en désarroi sur une île en faillite. Mais surtout nous essayons de prouver face à ces poussières d'Etats que nous sommes l'égal, voire "meilleur" que la nation qui nous nourrit, la France, un pays de 55 millions d'âmes, notre "papa gâteau" depuis 32 ans sans lequel nous serions tout aussi misérables que nos voisins. Même notre ministre des Finances le reconnaît : « sans les transferts de métropole, tout s'écroule ...» Non, il n'est jamais bon de mordre la main qui vous nourrit, tout enfant le sait.

Peut-être l'épisode de Rarotonga était-il le résultat d'un arrangement secret entre le Président Chirac et Gaston Flosse pour embarrasser les socialistes ou peut-être était-il juste l'humeur et l'ego du président Flosse qui s'extériorisent ; 10 ans de pouvoir presque absolu laisse des traces.

Quoi qu'il en soit, ce jeu est dangereux, très dangereux même car à Paris il y a de plus en plus de hauts fonctionnaires, même parmi la droite, qui pensent que "lâcher" Tahiti, puisqu'on « n'en a plus besoin, les essais sont terminés », ne serait pas une grande perte. C'est pourquoi des agissements embarrassants pour la France à Rarotonga ou ailleurs ainsi que les incessantes demandes « d'une autonomie qui va encore plus loin » pourraient un jour tenter un gouvernement, surtout s'il se trouve face à une crise économique grave, de répondre carrément « Fiu, nous allons vous donner toute votre autonomie, à 100% », en d'autres mots l'indépendance.
Doit-on réveiller ce dragon pour satisfaire la soif de prestige d'un homme ? Ne serait-il pas plus raisonnable -et plus honnête- de construire d'abord une réelle indépendance économique (cela ne se fera pas avec des palais et des tunnels) afin de nous débarrasser de notre image d'assistés gâtés dans le Pacifique avant de signer des "traités de coopération" avec nos voisins alors que nos propres archipels se plaignent d'être oubliés par Tahiti ?
C'est après seulement que nous pourrons être une « puissance régionale » et envoyer des "French doctors" chez nos voisins. Pour l'instant, tout ça, c'est du rêve et du pipeau puisque les seuls moyens que nous avons restent ceux que laFrance veut bien nous donner.

Alors, comme dit Emile, « restons humbles »...

Alex. W. du PREL

Directeur de la Publication.

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Copyright Tahiti Pacifique magazine 1997