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Etrange diktat culturel
Ce magazine est encore plus varié que d'habitude et nous espérons qu'il
vous plaira. La raison en est que l'actualité a été très chargée en
octobre, politique et carnaval obligent.
Comme vous le lirez en page 15, l'immense succès populaire du Carnaval de
Tahiti prouve bien que toutes les valeurs culturelles de Tahiti ont été
radicalement changées. Aussi, lorsqu'on a vu le grand nombre de sorcières à
chapeau pointu qui se baladaient parmi la foule carnavalesque de Papeete,
on peut affirmer que la plus grande confusion "culturelle" règne dans les
esprits puisqu'il y avait un amalgame évident avec la nouvelle mode
française de célébrer le Halloween américain.
Puisque nous parlons de cette fête païenne qui devient "in" à Paris, nous
ne pouvons manquer de noter cet excellent reportage du journal télévisé de
RFO diffusé le 30 octobre, lequel montra en détail une classe de maternelle
de Papeete où on faisait célébrer à grand frais et déguisements soignés les
horreurs de cette fête à de pauvres petits Polynésiens qui n'y
comprennaient rien. Les institutrices -et surtout la directrice de l'école-
horriblement maquillées et soigneusement déguisées en hideuses sorcières,
faisaient sans honte, même avec fierté dans l'horreur de leur apparence, la
réclame de leur nouvelle "méthode pédagogique". Tout cela certainement avec
l'approbation et l'encouragement du ministère local de l'Education,
responsable des programmes. Or, en réalité, avec leurs déguisements de
magiciennes abjectes, fidèlement et minutieusement copiés des dessins
animés de Disney, elles avaient parfaitement réussi à se donner la tête de
l'emploi : celle d'impitoyables sorcières distribuant le fruit empoisonné
qui assurera l'extinction certaine de cette petite flamme culturelle
polynésienne qui s'obstine à survivre.
Qui veut parier que ces dames seront prochainement gratifiées de Palmes
académiques ou d'élévations dans l'Ordre de Tahiti Nui afin de les
récompenser pour leurs actions pédagogiques "novatrices" ?
Or ce phénomène d'acculturation forcé, voulu et imposé par nos leaders,
commence déjà à avoir son impact économique : sur une planète en proie à
une mondialisation, face à un nivellement culturel global qui va effacer
tant de civilisations, il est évident que seuls ceux qui auront su rester
différents, surtout authentiques dans leur culture, intéresseront les
voyageurs du futur. Lorsqu'on construit à grands coups de subventions une
dizaine de nouveaux hôtels, lorsque les discours déclarent encore et
toujours que le développement du tourisme est notre seule chance de vivre
un avenir de dignité, l'obstination de nos chefs à vouloir instiller à la
population les valeurs d'ailleurs est totalement incompréhensible. En
effet, un pays qui ne sera qu'une mauvaise copie de ce qui se fait partout
ailleurs n'intéressera plus personne. La dramatique et constante chute du
nombre d'Américains qui investissent pour visiter nos îles n'est, hélas,
que proportionnelle à la perte de notre d'identité.
« Passéiste, crypto-conservateur, nostalgique invétéré » sera la réaction
habituelle des gourous "modernistes" à nos lignes ci-dessus. Peut-être,
mais seul l'avenir montrera si notre cri d'alarme a ou n'a pas sa part de
vérité. Et lorsqu'il faudra rebrousser chemin dans le choix des priorités
culturelles, espérons qu'il ne sera alors pas trop tard ; que la flammèche
de la spécificité culturelle tahitienne ne se sera pas éteinte à jamais.
Bonne lecture à tous et merci pour votre fidélité.
Alex W. duPREL
Directeur de la Publication / Editor
TAHITI-PACIFIQUE Magazine
B.P. 368, MOOREA, French Polynesia
Tel : (+689) 56 28 94
Fax : (+689) 56 30 07
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