" Tahiti Pacifique ",
Une goutte de liberté dans l'océan
De notre envoyé spécial
Il fait de la résistance. Depuis six ans et avec les 68 numéros de son magazine Tahiti Pacifique, Alex W. du Prel représente a lui tout seul la liberté de la presse en Polynésie française.
Dans les kiosques, les deux quotidiens
du territoire, la Dépêche et les Nouvelles de Tahiti,
qui appartiennent au groupe Hersant, incarnent un dirigisme de
l'information qu'on croyait révolu depuis la fin des républiques
bananières. L'unique chaîne de télé,
RFO, diffuse également la voix de son maître, le
RPR Gaston Flosse, qui préside le gouvernement du territoire.
Américain d'origine française, du Prel est venu en Polynésie française il y a vingt ans, avec son copain Marlon Brando. Il a presque la même corpulence. Apres s'être occupe de l'hôtel de l'atoll prive de Brando, Alex prit femme vahine et s'installa sur Moorea. Son repaire, un modeste fare paillote locale , est situe au milieu des plantations d'ananas et de vanille, près de l'école des hautes études pour les environnements insulaires.
" Le magazine est un onemanshow. J'en suis le directeur, le maquettiste, l'unique rédacteur, du fait de contraintes financières. "
Alex publie pourtant des contributions ponctuelles de chercheurs de l'université française du Pacifique.
Le fare est équipe pour faire un journal de A à Z: ordinateur, scanner, archives informatisées... Tahiti Pacifique est l'un des premiers sites Internet du territoire. Sur une étagère, une noix de coco d'une taille gigantesque attire le regard: " C'est le souvenir d'une visite a Mururoa. Probablement une mutation génétique " , explique Alex.
Le directeur de Tahiti Pacifique n'est plus invite aux conférences de presse gouvernementales pour cause de mauvais esprit, mais il a su lier des connivences avec le CEP (Centre d'expérimentation du Pacifique). L'armée l'a invite plusieurs fois sur l'atoll du " grand secret ". Par la force des choses, il est devenu un spécialiste du nucléaire. Chaque numéro de Tahiti Pacifique apporte son lot de scoops, comme cet article d'août 1996 sur le projet d'utiliser certains atolls du Pacifique comme futures " nécropoles nucléaires ".
Les Américains étudient
les possibilités d'enfouissement aux îles Marshall
et sur l'îlot Palmyra, et les Français se réservent
" indéfiniment " le contrôle
de leurs deux atolls nucléaires.
Tahiti Pacifique dénonce aussi
les effets pervers de la rente nucléaire: la croissance
artificielle anesthésiant l'activité productive;
la création d'une bureaucratie pléthorique et surpayée;
la spéculation foncière effrénée;
la sous compétitivité qui creuse le déficit
commercial. Et aussi la transformation rapide des Polynésiens,
trier agriculteurs et pécheurs, en une sousclasse
ouvrière... Aujourd'hui, l'économie locale est ainsi
frappée de plein fouet par ce qui constitue une bonne nouvelle
pour le reste du monde: le début du désarmement
nucléaire!
Du fond de sa vallée heureuse,
Alex W. du Prel, père d'une famille de gracieux " demis ",
les métis polynésiens, se fait a juste titre du
souci pour l'héritage culturel d'une jeunesse qui a perdu
son identité. Il est le seul, a ce jour, a s'être
donne les moyens d'en parler.
PATRICK DEVAL