Tahiti-Pacifique Magazine n° 182, juin 2006
Ombres sur le parquet de Papeete
La sanction du juge Taliercio soulève la question de l'impartialité du parquet de Papeete
Le 24 mai, à Paris, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sanctionnait le doyen des juges d'instruction de Papeete, M. Jean-Bernard Taliercio (50 ans) en ordonnant son déplacement dans une autre juridiction où il ne pourra plus exercer les fonctions d'instruction. En effet, selon le jugement du CSM, les actes du juge « révèlent une absence de repères déontologiques, une violation des obligations de réserve et d'impartialité et portent atteinte à l'institution judiciaire et au crédit de la justice ». Or la sanction ne vise aucun fait contraire à l'honneur ou à la probité, et elle sera amnistiée après l'élection du nouveau président de la République en 2007.
Suspendu de ses fonctions depuis le 18 janvier, M. Taliercio s'était démené lors de sa comparution le 17 mai devant ses pairs pour tenter d'expliquer qu'il serait la victime « d'une machination ourdie par le sénateur Gaston Flosse avec la complicité du parquet de Papeete et du ministre de la justice en personne... » et ceci pour l'empêcher d'aller au bout de son travail dans le cadre des dossiers où il avait mis en examen l'ancien Pprésident de la P.F. Gaston Flosse que l'on sait ami personnel du président Jacques Chirac.
Pour remettre les choses dans leurs contextes, il faut comparer la sévérité de la sanction qui a frappé le juge d'instruction Taliercio, lequel n'a jamais eu de plainte au sujet de son travail et qui n'a jamais causé de tort à personne, avec le traitement dont bénéficie le juge d'instruction Fabrice Burgaud de la triste "affaire d'Outreau", lequel a ruiné la vie de 12 familles et poussé un homme au suicide : il n'a jamais été suspendu ni inquiété malgré sa prestation dévastatrice pour la Justice devant la commission d'enquête.
M. Taliercio a décidé de déposer un référé suspension devant le conseil d'Etat.
Aussi, le 20 juin devant le tribunal correctionnel de Papeete se tiendra un autre procès, celui d'un officier de la gendarmerie, le capitaine Goubin accusé d'avoir séquestré illégalement deux personnes et qui pourrait, aussi, être la victime du même procureur.
Enfin, dans plusieurs communiqués le "Comité de soutien pour la réouverture de l'enquête et la recherche de la vérité sur la disparition de Jean-Pascal Couraud" (JPK) parle d'interférences continuelles dans les enquêtes sur le GIP (groupement d'intervention de la Polynésie) et sur la disparition de ce journaliste.
Sommes-nous alors à Tahiti en présence d'une paranoïa collective de hauts fonctionnaires qui ciblerait un procureur ? Ou pourrait-il effectivement exister un "réseau de protection" autour de l'ancien président de le P.F. et de ses amis, une action concertée dont le procureur serait un élément-clé ?
En janvier dernier, après la suspension du juge Taliercio, les deux quotidiens de Tahiti ont consacré chacun une pleine page à la description des accusations portées contre lui, des articles basés sur des documents à charge fournis par "on ne sait qui". Ceux-ci ont jeté une image très sombre sur le magistrat. Le même scénario s'est d'ailleurs déroulé après la mutation d'un officier de la gendarmerie. Afin de tenter de rétablir une certaine équité, nous présentons donc ici de larges extraits du mémoire de défense du juge Taliercio, un document qui est désormais publiable puisqu'ils ont été produit lors de l'audience publique devant le CSM, et qui fait aussi référence aux ennuis du capitaine de gendarmerie Goubin.
Suite à ses 21 années de présence à un poste central de la Justice en P.F., nul autre que le juge Taliercio ne devrait mieux connaître les rouages et méandres de la justice à Tahiti. Il mérite donc qu'on l'écoute, surtout que si ce qu'il avance se révélerait être vrai, la situation judiciaire apparaîtrait alors plutôt inquiétante à Tahiti.
Les accusations contre le juge
Les accusations essentielles portées contre le juge Taliercio concernent « l'absence de mobilité géographique et fonctionnelle » (être resté trop longtemps à un poste), des manquements professionnels tels avoir réglé une affaire dans son cabinet, donné des conseils de placement financier à une gagnante du "Euro-million" en l'incitant à acquérir un immeuble vendu par M. Bitton, l'un de ses amis, l'achat d'un appartement auprès d'un notaire qu'il avait mis en examen 10 années auparavant, son intervention dans un conflit social (la séquestration de la direction de Bouygues par les syndicalistes) « dont il n'était pas encore saisi » et d'avoir fait des déclarations à la presse après le suicide de la fille d'un ami. Mais encore, le CSM a relevé « des négligences dans la conduite des procédures » dont il était chargé, notamment des retards, ce qui a justifié sa suspension « pour manquement aux devoirs d'indépendance, d'impartialité, de neutralité, de sens de responsabilité, de loyauté et de prudence du magistrat .
La défense du juge Taliercio
Sur la forme, le magistrat accusé dénonce en premier lieu un vice de procédure car, selon les textes, l'ordonnance portant statut de la magistrature ne prévoit qu'un seul cas dans lequel l'IGSJ peut être amenée à effectuer une enquête disciplinaire sur un magistrat du siège, c'est lorque la demande d'enquête vient d'un premier président de cour d'appel (CA), or ce n'était pas le cas ici, puisque jamais le premier président de la CA de Papeete n'a demandé d'enquête disciplinaire sur M. Taliercio, ni même une quelconque sanction disciplinaire. Selon lui, ceci porte atteinte à l'indépendance de la magistrature.
M. Taliercio considère encore que « le rapport d'inspection qui s'efforce de l'accabler ne peut pas être qualifié d'objectif et d'impartial car sur 21 années de carrière à Papeete, il ne prend en compte que trois années au cours desquelles il aurait pu être relevé des manquements. Aussi, le rédacteur du rapport se garde bien de mentionner les auteurs desdites opinions défavorables. Cette façon de procéder, qui manque de la plus totale objectivité, traduit une volonté d'instruire délibérément à charge. Tout en faisant rapidement état d'appréciations favorables mais sans s'attarder outre mesure, le rapport fait, en revanche, longuement mention des opinions, évidemment défavorables, émises par le parquet. On ne peut également que s'interroger sur le procédé qui consiste à citer des personnes faisant état de rumeurs non étayées par des faits concrets, ou de la simple conviction de certains. Dans le même ordre d'idées, après avoir fait état d'une soi-disant plainte pour laquelle le parquet indique qu'il n'y a pas lieu à information judiciaire (une décision de classement sans suite a été discrètement prise par la suite), le rapport d'enquête dévie ensuite sur un autre point nullement en rapport avec cette affaire, pour s'étendre complaisamment sur des faits qui seraient reprochés mais qui, selon ses propres termes, ne seraient pas avérés. Pourquoi dans ces conditions, en faire état, sauf à vouloir à tout prix décrédibiliser la réputation du magistrat faisant l'objet de l'enquête ? M. Taliercio se dit « surpris que l'inspection des services judiciaires, qui se charge de rappeler aux juridictions les règles qu'elles doivent respecter dans le suivi de leurs procédures, se contente, pour ses propres enquêtes, de cet « impressionnisme juridique ».
En ce qui concerne le reproche au sujet des opérations immobilières, le rédacteur indique que M. Taliercio aurait une réputation d'affairisme. Dans un 2° temps, il est indiqué qu'il n'existe qu'une seule opération et que celle-ci est « compatible avec le statut » et ne peut donc être assimilée à une activité de promotion immobilière. Il est également précisé que son financement est parfaitement régulier et compatible. Dans un 3° temps, il est indiqué que, quand même, cette seule opération légale suffit à faire naître le soupçon d'affairisme dès lors qu'elle révèle une association avec des hommes d'affaires et qu'elle révèle une association avec un notaire mis en examen plus de 10 ans auparavant !
« Ainsi une seule, opération parfaitement légale, qualifiée également de placement de bon père de famille par le rapport, avec des investisseurs dont rien ne permet de douter de la probité et avec un notaire, certes inculpé 10 ans auparavant, mais innocenté depuis, et ce simple fait mérite le qualificatif de « manque de discernement et de prudence » alors que, de surcroît, l'opération en question n'a pas été révélée publiquement.
« Aussi, l'inspection semble accorder aux déclarations de M. XX un crédit démesuré, oublie cependant que ce dernier a été condamné à trois reprises pour corruption. Il est donc surprenant de lui accorder un tel crédit », alors que, à l'inverse, lorsque M. Taliercio achète des parts de SCI avec un notaire relaxé 10 ans auparavant, cela devient suspect.
S'agissant des propos imputés par M. Flosse, M. Taliercio dit être « sidéré par le raisonnement tortueux et alambiqué suivi par le rédacteur pour tenter de démontrer qu'il aurait été coupable d'une collusion avec le président du Territoire alors en exercice. Cela n'est d'ailleurs pas sans rappeler, curieusement, les commentaires livrés par on ne sait qui à l'Associated Press après l'interdiction temporaire de fonctions, sur le fait que celle-ci serait due à « une amitié inadéquate avec le sénateur UMP Gaston Flosse ». Cette désinformation savamment orchestrée par des personnes qui sont sans doute des spécialistes en la matière, proche de l'entourage de M. Flosse, vise en fait à masquer les vraies raisons de mes ennuis actuels, auxquelles l'intéressé n'est sans doute pas étranger. »
Le juge Taliercio ne peut que répéter qu'il n'a jamais rencontré M. Flosse en dehors de la présence de son avocat et qu'il n'a jamais eu de relations personnelles, même de simple courtoisie ou de protocole, avec ce dernier. M. Taliercio déclare ne pas être certain « que plusieurs membres actuels du parquet de Papeete ou anciens présidents de la juridiction de première instance ou d'appel, dont l'un a été décoré de l'ordre local de Tahiti Nui, puissent en dire autant
« Enfin, dans ses conclusions, le rapport d'enquête dans un curieux renversement de la charge de la preuve estime que, lorsque les faits reprochés n'ont pas eu de témoins directs, et donc ne sont nullement avérés, le fait d'expliquer la persistance de ces rumeurs par la volonté de déstabiliser M. Taliercio « est retenu comme un élément à charge et preuve d'une soi-disant fragilité, comme s'il lui appartenait de prouver la fausseté de ces accusations ou la malveillance de leurs auteur ! En substance, le rapport accorde foi aux remarques et simples rumeurs rapportées par les témoins qui indiquent eux-mêmes qu'il n'existe pas d'éléments objectifs prouvant leurs dires, alors que les déclarations de M. Taliercio sont systématiquement écartées comme révélatrices d'un esprit paranoïaque ». M. Taliercio « avoue, là aussi, être consterné par une telle méthode de raisonnement qui vise à me faire prendre pour quelqu'un de fragile et de peu sérieux alors que je suis la victime de machinations plus qu'évidentes visant opportunément à me discréditer à un moment crucial d'une instruction compromettante pour les plus hautes autorités du Territoire voire de l'Etat et de rumeurs sans aucun fondement, ni avéré ni même parfois allégué, mais savamment orchestrées depuis ma première mise en examen de M. Flosse en décembre 2002. »
Pour éclairer le Conseil sur le contexte particulier des affaires de Polynésie française, M. Taliercio leur demande de lire un article de Libération concernant l'existence du Service d'Etudes et de Documentation [SED] de M. Flosse ainsi que les liens de ce service avec les services équivalents de l'Etat, et le rapport de la Chambre territoriale des comptes consacré à la gestion de la présidence de la P.F. qui évoque directement l'existence de la cellule d'espionnage de M. Flosse (SED) dirigée par M. Yhuel, [ancien de la DGSE]. Il me semble que ces différents éléments permettent, plus que les affirmations hâtives du rédacteur du rapport sur ma soi-disant fragilité voire quasi-paranoïa, d'étayer mes propos selon lesquels les rumeurs propagées à mon encontre seraient le résultat de machinations bien orchestrées. »
Intervention du parquet de Papeete
M. Taliercio estime « qu'il ne pouvait pas être déclenché de procédure disciplinaire à la demande du parquet, sauf à porter atteinte à la nécessaire indépendance des juges d'instruction ». Or, il constate « que la mission d'enquête a été diligentée à la suite du rapport du procureur général de Papeete, lequel ne se contentait pas de faire état du résultat des investigations déclenchées à l'initiative du parquet, mais faisait état de « carences graves dans la tenue de mes dossiers » et de différentes interventions dans les affaires dont je n'étais pas saisi. Dans cette affaire, le parquet de Papeete, qui, comme l'indique le rapport de l'inspection, mène depuis 2003 une politique restrictive d'ouverture d'information (alors pourtant que son effectif est passé à 7 personnes), a cependant ouvert à l'encontre de M. Taliercio de multiples enquêtes de police judiciaire, qui ont toutes fait l'objet d'un classement sans suite, ainsi qu'une information judiciaire qui devrait elle-même avoir déjà fait l'objet d'une décision de non-lieu si le délai prévu par le code de procédure pénale avait été respecté, et si l'on n'avait voulu sciemment maintenir l'ambiguïté sur son innocence à cet égard. Par ailleurs, le rapport de l'IGSJ indique qu'à plusieurs reprises, les faits dénoncés au garde des sceaux ont pour origine des demandes du parquet de Papeete.
« Ainsi l'essentiel des appréciations négatives figurant au dossier du rapport d'enquête provient d'appréciations de membres du parquet. Concernant le suicide de Mlle Bitton et l'affaire de Mme XX, en aucun cas dans ces affaires il n'y avait lieu au parquet d'intervenir puisque la 1ère affaire concerne une éventuelle entorse au devoir de réserve qui ne concerne que le premier président de la Cour d'appel et dans la deuxième affaire, on ne voit pas à quel titre intervient le procureur ( ) Le parquet de Papeete est donc bien à l'origine de la saisine du CSM. Cette immixtion n'est d'ailleurs pas nouvelle puisque, dans le cadre de l'affaire [du suicide], le rapport d'inspection note que [l'ancien premier président de la cour d'appel] Michaux « estime que ces faits ne justifiaient pas une sanction disciplinaire, malgré l'insistance du parquet, il s'était borné à lui donner un avertissement oral » Or, cette intervention du parquet dans le cadre d'une procédure disciplinaire visant un magistrat du siège est irrégulière et est de nature à entacher d'illégalité l'ensemble de la procédure disciplinaire. D'une part, parce que, quoi qu'en pense le procureur de la République actuellement en poste à Papeete, ni le procureur général, ni, a fortiori le procureur, ne sont les supérieurs hiérarchiques des magistrats du siège. Les membres du parquet, qui sont peut-être, selon la formule consacrée, « des magistrats à l'audience » demeurent avant tout des fonctionnaires dans leur bureau et, à ce titre, ils n'ont pas à interférer avec la gestion des magistrats du siège, sauf à porter atteinte à l'indépendance des juges. »
« Traitement de faveur » pour le GIP
M. Taliercio enfonce le clou : « D'autre part, s'agissant du parquet de Papeete, [ ] son absence d'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique en place au moment des faits reprochés, à savoir M. Gaston Flosse, disqualifie toute action menée à mon encontre, action qui, je le rappelle, a curieusement commencé lorsque j'ai instruis des dossiers contre l'ancien président de la P.F. L'absence d'impartialité, déjà évoquée plus haut s'agissant de l'IGSJ, me paraît devoir être retenue contre les affirmations du parquet. Plusieurs affaires ont, en effet, amené l'opinion publique à douter, non pas de l'indépendance du parquet de Papeete qui n'existe pas vis-à-vis du pouvoir politique, mais du respect de son obligation d'impartialité. Ainsi, l'affaire dite "Jean-Pascal Couraud" [JPK] qui concerne la disparition inexpliquée d'un opposant à M. Flosse a-t-elle donné lieu, lorsqu'un ancien membre du GIP a accusé deux de ses collègues, à une décision sans doute unique dans les annales judiciaires, à savoir une comparution immédiate pour un délit de dénonciation calomnieuse suivi d'une condamnation à de la prison ferme, condamnation réformée en appel. Il n'est pas besoin d'être juriste pour s'étonner de l'utilisation de cette procédure d'urgence pour ce type de délit qui avait, il est vrai, pour effet de gêner M. Flosse à un moment où il s'efforçait de reprendre le pouvoir. De même, peut-on avoir une idée de la conception de l'action publique en Polynésie française en observant le traitement de faveur dont bénéficie l'ancien chef du GIP, M. Puputauki, au pénal, puisqu'une relaxe est demandée par le parquet dans une affaire concernant une mort d'homme provoquée par l'intéressé au motif que l'on ne peut prouver qu'il avait reçu une procuration pour diriger le groupement. Il eût pourtant suffit au parquet de se référer à l'arrêté N°1173/CM du 04/09/98, tout à fait public puisque publié au Journal Officiel de la P.F., et portant organisation du groupement de la Polynésie française pour constater que selon l'article 4 le chef du groupement recevait délégation pour « définir, diriger et coordonner l'action des agents affectés au GIP ». Je préciserai que M. Puputauki a bloqué à trois reprises le port de Papeete avec ses hommes dans une action de rébellion contre l'actuel gouvernement de la Polynésie française, sans qu'aucune information ne soit ouverte par le parquet.
« Le GIP a d'ailleurs toujours bénéficié de la mansuétude poussée du ministère public puisque, en dépit des informations précises et persistantes concernant des écoutes illégales menées depuis plusieurs années par ses agents et de la présence peu discrète d'antennes sur les locaux du GIP, le parquet n'a jamais jugé utile, là non plus, d'ouvrir une information. Il en est de même pour l'enregistrement illégal dont j'ai fait moi-même l'objet. De la même manière, il est possible d'avoir une idée de la conception orientée des poursuites exercées par le parquet de Papeete qui, dans un incident qui s'était déroulé dans l'enceinte de l'assemblée de la Polynésie française à l'occasion du vote de la motion de censure, a prêté son concours à une manuvre de M. Flosse en retenant une tentative d'homicide dans ce qui n'est, 18 mois après, qualifié que de contravention !
« Le Conseil trouvera également un exemple de ce traitement de faveur qu'assure le parquet à M.Flosse dans l'affaire dite du « Tahara'a » où la chambre de l'instruction a validé, contre l'avis du parquet qui intervenait une fois encore en faveur de M. Flosse, une instruction menée pour prise illégale d'intérêts. Lors de l'audience correctionnelle du 25 avril dernier le parquet, malgré cet arrêt de la chambre de l'instruction, a même été jusqu'à requérir la relaxe, fait rarissime en une telle circonstance.
« Cette « protection » est de notoriété tellement publique (pour reprendre le même mode de raisonnement que la mission d'inspection) que la presse locale s'en fait ouvertement l'écho Or je rappelle que la notoriété des accusations dont je faisais moi-même l'objet ne résultait jusqu'à ma suspension que d'un seul article de ces mêmes journaux.
« De plus, l'éviction du capitaine Goubin qui était commandant de la brigade des recherches de Papeete fin 2003 juste avant le déclenchement, à l'initiative du parquet, de l'affaire [des faveurs d'une dame] et juste après ma deuxième mise en examen de Monsieur Gaston Flosse dans la deuxième affaire d'emplois fictifs, démontre la mise en place d'un dispositif destiné à permettre l'intervention d'officiers de police judiciaire (OPJ) plus complaisants envers les initiatives du Parquet qui, dès cette époque, a multiplié les ouvertures d'enquêtes à mon encontre pour discréditer tant ma personne que mon action.
« Le Conseil comprendra donc aisément que je récuse avec la dernière énergie toute intervention « administrative » du parquet concernant mon affaire disciplinaire, non seulement parce que cette intervention est illégale, mais également parce qu'elle est empreinte en l'espèce de la plus grande partialité.
« Je souligne d'ailleurs, s'agissant de la mesure d'interdiction provisoire prise à mon encontre par le Conseil, que l'information a été publiée dans la presse à Papeete dès le lendemain, soit le jeudi 19 janvier 2006, a été reprise le 20 janvier 2006 avec de graves allégations mettant en cause non seulement mon honneur, mais celui de ma famille, et l'ensemble des éléments du dossier a été diffusé dans le journal Les Nouvelles de Tahiti le 21 janvier 2006. Il est plus que suspect que de telles pièces couvertes par le secret professionnel et l'interdiction de publier [ ] aient tout de même donné lieu à ces publications dans le but évident de me nuire définitivement en tentant de créer ainsi de manière totalement artificielle les conditions d'un éventuel déplacement d'office compte tenu du retentissement ainsi donné à l'affaire. »
Ministre impartial ?
La saisine du Garde des Sceaux effectuée le 4 novembre 2005 paraît à M. Taliercio être entachée de deux vices de nature à la faire déclarer irrégulière :
« En premier lieu, et compte tenu de la proximité politique de M. Pascal Clément [ministre de la Justice, Garde des sceaux] avec M. Flosse, il me semble contraire à l'exigence d'impartialité que l'on est en droit de demander à toute autorité publique que le Garde des Sceaux saisisse pour motif disciplinaire le CSM au sujet d'un magistrat enquêtant sur un membre de la même famille politique que lui et auquel il a apporté publiquement son soutien ainsi que le prouvent les articles de presse. Je rappelle que M. Flosse est secrétaire départemental de la Fédération UMP de P.F. alors que M. Pascal Clément est secrétaire départemental de la fédération UMP de la Loire. Par ailleurs M. Clément, lors de sa visite en Polynésie française le 25 août 2003, a fait un vibrant éloge, très appuyé en faveur de M. Flosse, et dont d'ailleurs la teneur a semble-t-il été bruyamment démentie par les faits révélés par la Chambre territoriale des comptes. J'estime donc que M. Clément ne peut, dans cette affaire, se prévaloir d'une apparence d'impartialité l'autorisant à entamer des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un juge d'instruction ayant mis en examen et renvoyé devant le tribunal correctionnel un ami et allié politique auquel il a publiquement apporté son soutien et qu'il continue de recevoir à son ministère. Il faut en effet appliquer au ministre la même défiance et désapprobation déontologique que celle qu'il voudrait m'appliquer en incriminant mes relations avec d'anciens mis en examen, et ce avec d'autant plus de rigueur que dans son cas, contrairement à moi, ces mises en examen sont encore actuelles !
« Il ne peut être opposé à mon argumentation le fait que dans ces conditions toute mesure disciplinaire deviendrait impossible à l'encontre d'un magistrat du siège car conformément aux dispositions de l'article 50-2 du statut de la magistrature, ces poursuites auraient pu être initiées par le premier président de la Cour d'appel, qui est le mieux à même d'apprécier tout comportement fautif des magistrats placés sous son autorité et qui présente lui toute garantie d'impartialité, contrairement au ministre qui est une autorité institutionnelle d'émanation politique. » ( ) Dans l'affaire de la conciliation et de sa participation dans une opération immobilière, M. Taliercio « comprend que, pour étoffer une accusation qui ne tient pas, le ministre cherche à jeter en permanence le soupçon sur ma personne : je ne suis pas certain cependant qu'au cas d'espèce, il n'en fasse pas un peu trop. Quant au fait de connaître et de rencontrer des gens qui ont fait l'objet d'une inculpation, il ne me semble pas avoir eu cette réserve lorsqu'il a rencontré M. Flosse en 2003, et plus récemment encore en juin 2005 alors que ce dernier avait déjà fait l'objet de multiples mises en examen et de renvois -dont un en cours- devant le Tribunal correctionnel. Curieusement cette visite au ministre de M. Flosse est concomitante avec le dépôt du rapport d'inspection ! » ( )
« Faveurs » supposées d'une dame
Au sujet de l'audition d'une dame qui accusait le juge Taliercio de lui avoir proposé un échange de "faveurs", « comme le démontre la procédure d'enquête préliminaire ce n'est pas elle qui a « décidé de réagir et de déposer plainte » mais bien les gendarmes, et spécialement le tout nouveau commandant de la Brigade des Recherches qui, après avoir recueilli un renseignement d' « une personne désirant garder l'anonymat » en informe le procureur qui lui prescrit de convoquer la victime désignée. C'est donc en réalité sur convocation des gendarmes qu'elle vient dénoncer les faits et déposer plainte et non pas spontanément sur sa décision. » ( ) Voilà en effet quelqu'un qui est à la fois proche des autorités judiciaires, par elle-même ou par son confident informateur, ce qui lui a permis de connaître en temps réel et avant nombre de magistrats de la même juridiction, la date du déplacement d'office d'un juge par son amant reconnu, chef du service parallèle des renseignements généraux de cet ex-président du gouvernement territorial. « C'est cette personne qui essaie de me piéger en m'enregistrant et filmant dans mon bureau à mon insu avec le matériel fourni par les services précités au cours d'un entretien professionnel sur le montant de sa consignation. C'est la même qui deux ans après, porte plainte sur sollicitation des services de gendarmerie, eux-mêmes commandés en cela par le parquet de Papeete, sans dévoiler l'existence de cette cassette qui me disculpe. Et quand je proclame mon innocence et dénonce l'ensemble de ces manuvres et compromissions coupables à l'encontre de mes fonctions de magistrat, non seulement ces actes ne sont pas poursuivis, mais ma propre présomption d'innocence est mise à mal par une enquête qui n'en finit pas et qui vient jusque devant le CSM tâcher de salir mon honneur et ma réputation sur la base des déclarations d'une personne qui est pourtant manifestement et même officiellement manipulée !
Pas un procès équitable
« En raison de cette attitude du ministre, qui n'hésite pas à déclarer au Conseil d'Etat que « la réalité des faits qui sont reprochés au requérant apparait établie » pour refuser de prendre en charge les frais de ma défense pénale bien que je ne sois pas mis en examen pour ceux-ci, ce qui implique qu'il n'existe en l'état contre moi aucun indice grave et concordant de ma participation à ces faits, j'estime ne pas bénéficier d'un procès équitable. En effet tant que le ministère public sous les ordres du ministre de la justice, qui a déjà dépassé de plusieurs mois le délai légal, n'aura pas permis de régler définitivement le dossier d'instruction dont je fais l'objet afin de me permettre de me présenter devant votre juridiction lavé de ces soupçons ridicules et odieux sur ma délicatesse et ma probité, le procès qui m'est fait n'est pas équitable. Est-il légitime que je doive comparaître dans la présente instance disciplinaire sous le sceau de cette ambiguïté sur mon innocence voulue et organisée par ceux-là même qui l'ont entamée en déclenchant les poursuites tant pénales que disciplinaires à mon encontre sur la base d'accusations suscitées et fabriquées de toutes pièces, ainsi qu'ils ne peuvent l'ignorer ? »
Le cas du capitaine Goubin
Parallèlement à cette affaire, il y a celle du capitaine de gendarmerie Gilles Goubin, laquelle montre des similitudes pour le moins troublantes. Nommé au commandement de la brigade de recherches de Papeete en 2002 pour trois années, il ne tiendra ce poste qu'un an. Suite à une enquête menée énergiquement par ses anciens collègues, ce militaire a été suspendu de ses fonctions en janvier 2006, quelques jours après le juge Taliercio. Il est impliqué dans une affaire mettant également en cause l'ancien gouvernement Flosse et son incontournable chef du SED, André Yhuel. Il devrait rendre des comptes à la justice car on l'accuse d'avoir, en 2004 en pleine campagne électorale, séquestré, perquisitionné, entendu, vérifié et enquêté dans des conditions mystérieuses sur la disparition d'une somme de 7 millions de francs Pacifique en liquide qui se seraient « évaporés » du bureau de la secrétaire du président Flosse. L'avocat de l'officier s'est fait connaître du procureur général début février et quelques jours après un journaliste de la Dépêche de Tahiti téléphonait à celui-ci pour connaître les suites de cette suspension et, malgré que celui-ci ne lui donna aucune information, un article accablant pour le gendarme, particulièrement argumenté au plan juridique, parut le 11 février.
Connaîtra-t-on jamais l'origine et l'usage destiné à cet argent en liquide et comment il a pu disparaître de la forteresse qu'était le Palais présidentiel du temps de Flosse ? Mais encore, pourquoi une plainte pour vol n'a-t-elle pas été officiellement déposée alors que l'on avait justement demandé l'intervention d'un gendarme ? La sanction contre un officier ne servirait-elle pas à noyer le poisson concernant une éventuelle "caisse noire" ?
Fin 2003, peu de temps après la mise en place du nouveau procureur, cet officier était évincé puis en février 2004 débarqué brutalement pour se voir relégué à un vague emploi d'officier d'état major chargé de gestion administrative des enquêtes judiciaires, emploi vide de substance, de moyens et surtout de responsabilités. Le procureur demandera d'ailleurs son départ anticipé au commandement de la gendarmerie, ce qu'il confirmera ultérieurement au nouveau colonel chef d'état major.
Peu de temps après la "promotion placard" de son chef, la brigade de recherches de la gendarmerie se verra confier les nombreuses enquêtes sur le juge Taliercio et deviendra ainsi l'outil privilégié du procureur. Les enquêteurs, apparemment devenus plus complaisants (on les comprend) mettront de l'ardeur à la tâche car ils semblent avoir compris le message, le sort réservé à leur ex-chef a de quoi les inciter à "marcher au pas". En juillet 2005 le capitaine fut soudainement mis en cause par des articles de deux journaux dans une affaire de vol de scellés judiciaires au sein même de la brigade de recherches, enquête qui semble se poursuivre péniblement avec de forts soupçons envers une autre personne Revanche de subordonnés aigris ? Manipulations par une autorité supérieure ?
Toujours est-il que cela finit par faire beaucoup d'accusations, réelles ou insinuées, comme ce fut le cas avec le juge Taliercio, pour un homme au parcours jusqu'alors impeccable qui fait l'objet, et les faits le démontrent, d'une attention particulière sinon soutenue de la part du procureur.
Serait-ce parce qu'il avait refusé de se laisser instrumentaliser ?
Alex W. du PREL
avec des extraits du mémoire de défense de M. Jean-Bernard Taliercio.
Comité de soutien pour la réouverture de l'enquête et la recherche de la vérité sur la disparition de JPK
Communiqué du 4 mai 2006 : « Près de 4 mois se sont écoulés sans qu'aucune nouvelle information ait été donnée sur l'enquête relative à la disparition de Jean-Pascal Couraud car il est important en effet de veiller à ce que celle-ci se déroule avec toute la discrétion possible, d'autant plus qu'elle s'exécute dans un climat de peur et dans un contexte politique et judiciaire très particulier. Toutefois, suite à l'entrevue qui a eu lieu le 3 mai entre la famille de JPK et le juge d'instruction Madame Barruol, il nous a semblé utile et nécessaire de faire un point succinct de la situation du dossier, sans rien révéler du déroulement de cette enquête qui se poursuit actuellement.
En effet, diverses informations ont été données ces dernières semaines à la famille de JPK, de différentes sources indépendantes, qui ne laissent planer aucun doute sur la réalité de l'assassinat qui a été commis le 15 décembre 1997 au large de Papeete sur la personne de Jean-Pascal Couraud, par des salariés d'une structure administrative qui prendra la dénomination de GIP quelques mois plus tard. Ceci est désormais devenu pour nous une certitude. Mais notre difficulté aujourd'hui est d'obtenir de l'appareil judiciaire la mise à jour de la réalité de cet assassinat afin que leurs auteurs et leurs complices puissent être jugés et punis pour ces actes odieux et criminels.
Par ailleurs, nous avons été également témoins dans cette affaire, et ce depuis les toutes premières révélations de Vetea Guilloux en octobre 2004, des graves dysfonctionnements de l'institution judiciaire. Tout ceci a été à nouveau confirmé par des révélations faites spontanément à la famille de JPK au cours de ces dernières semaines par plusieurs sources fiables et indépendantes de l'enquête. Les personnes à l'origine de ces dysfonctionnements et ceux qui y participent sont désormais connus mais compte tenu du déroulement de l'enquête en cours, il apparaît qu'il n'est actuellement ni utile ni souhaitable de révéler ces différents éléments sur lesquels nous reviendrons certainement plus en détail le moment venu.
Toutefois, la nature des entraves et des pressions exercées montre clairement que certaines personnes bien placées dans le milieu judiciaire sont disposées à utiliser tous les moyens possibles, y compris ceux contraires à la loi, pour empêcher l'enquête d'aboutir et de révéler les auteurs, leurs complices, ainsi que les vrais responsables de cet assassinat. »