Tahiti-Pacifique Magazine n° 186, octobre 2006
Les ex-barbouzes du Palais présidentiel au tribunal
Le procès de l'affaire dite « des barbouzes » des anciens « RG de la Présidence » de Gaston Flosse s'est tenu le 26 septembre devant le tribunal correctionnel de Papeete. Etaient présents le chef André Yhuel et ses adjoints Thierry Hargous et Alain Montesinos, accompagnés du capitaine de gendarmerie Gilles Goubin qu'ils avaient entraîné dans ce dérapage supposé de "police parallèle".
L'affaire concerne un vol qui eut lieu en avril 2004 lors de la campagne électorale dans le bureau de Melba Ortas, secrétaire particulière du président Flosse. « Je ne savais pas exactement ce qu'il y avait dans ce dossier. On m'a juste fait comprendre qu'il était très important qu'il fallait à tout prix le retrouver » explique André Yhuel, ce qui ne l'empêchera pas de l'annoncer comme le vol d'une enveloppe contenant 7 millions Fcfp. En fait, comme l'a dévoilé TPM en juin dernier, la pochette ne contenait que 60 000 Fcfp en espèces, un dossier médical de M. Flosse et surtout des feuilles de chiffres apparemment liés à la campagne électorale (la liste des "généreux donateurs" ?)
Grâce à la sévère sécurité en vogue à l'époque au Palais, le service de renseignement de Gaston Flosse (SED) découvre de suite les auteurs, un couple d'employés auprès de qui l'argent est retrouvé, mais pas les documents confidentiels, certainement jetés dans une poubelle.
Alors, pour mener à bien leur mission pour « sauver le patron », les trois barbouzes ont utilisé tous les moyens, plus ou moins légaux, pour rechercher les mystérieux dossiers : prises d'empreintes digitales, fouille de la voiture, perquisitions au domicile du couple suspecté, interrogatoire tendu pendant de longues heures dans un bureau du Palais présidentiel (sans toutefois les séquestrer, comme il avait été affirmé), des méthodes comme au commissariat de police. Facile, car tous trois sont d'anciens militaires ou gendarmes.
N'obtenant pas de résultats, les "barbouzes" ont alors fait appel à un capitaine de gendarmerie, Gilles Goubin, à l'époque responsable de la brigade de recherche de P.F. Il est arrivé et a participé à un interrogatoire pensant qu'une plainte pour vol serait déposée. Or, vu de la sensibilité du dossier disparu (mon Dieu, que contient-il donc ?) la Présidence ne dépose jamais de plainte, ce qui fait que la participation, même partielle, du gendarme à ces investigations serait, selon l'accusation, un acte irrégulier : « J'ai été piégé » explique-t-il. Par la suite, il est muté en France, puis suspendu de ces fonctions.
« Cocu de la République »
C'est là que la politique et les luttes à l'intérieur du système judiciaire à Tahiti viennent se greffer sur l'affaire. En effet, outré de se voir embarqué après 29 ans de services irréprochables dans une telle galère (« c'est un coup monté »), le capitaine Goubin retient les services d'un avocat vedette du barreau de Nice, Me Patrick Rizzo. Celui-ci, ainsi que Me Gratirolla du barreau de Papeete, expliquent que leur client est à la barre uniquement parce que le procureur de la République à Papeete, Jean Bianconi, avait décidé de se débarrasser de lui, d'abord en le mettant « au placard » puis en le chargeant pénalement. Pour preuve, ils expliquent que leur client est uniquement accusé « d'usurpation de fonction », or comment un gendarme en fonction pourait-il usurper la fonction de gendarme ? Autre mystère du parquet de Papeete.
Face à la nouvelle présidente du tribunal correctionnelle toute fraîche de métropole, s'inspirant certainement des écrits de Mme Deviers-Joncours Me Rizzo regrette que son client ait été ainsi transformé en « cocu de la République » et développe clairement la thèse de la machination, expliquant que le procureur Bianconi (appelé comme témoin par la défense, mais absent) avait décidé de « se faire le gendarme » car celui-ci n'accepta pas de participer à des actes hors du cadre usuel : « J'enquêtais sur l'arrivée d'un colis contenant de la drogue et destiné au fils [du juge d'instruction] Taliercio. Le procureur m'a tout de suite demandé de vérifier les comptes bancaires du père [qui instruisait les dossiers impliquant M. Flosse]. Je ne voyais pas bien le motif et je l'ai dit. Il m'a évincé sèchement du bureau et j'ai été mis au placard. Ensuite, on m'a fait passer pour un complice » précise le capitaine Goubin. Thèse du complot que confirme bien sûr le témoignage de Jean-Bernard Taliercio, pendant 21 ans juge d'instruction à Papeete (lire notre dossier, TPM 182, juin 2006) cité comme témoin par Goubin : « Je suis venu dire que M. Goubin est sûrement une victime collatérale de mon éviction. Il refusait de faire certaines choses que lui demandait le procureur afin de me déstabiliser, et il paie aujourd'hui », explication d'ailleurs confirmée (in aparté) à Tahiti-Pacifique par un haut magistrat de Papeete : « pour Goubin, c'est sûr, c'est un coup monté ». Le thème du complot politique est repris par tous les autres avocats de la défense, surtout que la plainte de la partie civile, le couple suspecté du vol, a été déposée trois mois après les faits sur instigation de la juriste (Annie Rousseau) du nouveau gouvernement et que plusieurs enquêtes, par la gendarmerie comme par la police, avaient été diligentées par le parquet pour « mieux enfoncer le clou ». « Dans ce tribunal il y a eu des dysfonctionnements judiciaires, c'est un fait... C'est un monde déréglé, un monde où l'on étouffe les affaires... il y a dans ce pays des gens qui pensent qu'ils sont au dessus des lois » a conclu maître Rizzo avec de grands effets de manche.
Le vice procureur demande six à huit mois de prison avec sursis pour les quatre prévenus, « une condamnation, raisonnable pour des dérapages » tout en déplorant « la sottise la plus totale » de barbouzes trop enclins à tout faire pour « sauver le patron ».
Les avocats de la défense ont tous demandé la relaxe de leurs clients dans cette autre affaire politico-judiciaire dont Tahiti détient certainement le palmarès.
Jugement le 5 décembre
A.d.P.