TAHITI-PACIFIQUE Magazine
N° 230 juin 2010

REGNAULT 
Comprendre les mécanismes du Comité de décolonisation de l’ONU

Rare privilège que celui qui m’a été accordé par l’ONU de pouvoir assister en tant qu’historien (j’ai été qualifié pompeusement « d’expert ») au séminaire du Comité de décolonisation qui s’est tenu à Nouméa du 18 au 20 mai dans le magnifique auditorium de la Communauté du Pacifique (la CPS). J’y étais donc en tant que spécialiste des questions d’histoire du Pacifique et je ne représentais aucun territoire et aucun parti. J’ai été un observateur silencieux tout occupé à entendre les déclarations de personnalités venues de nombreux pays, ambassadeurs, ministres des pays membres du Comité, chefs de partis réclamant l’indépendance ou l’intégration… On a ainsi entendu exposer les cas des îles Falkland, du Sahara occidental, de Gibraltar, des Samoa américaines, de Guam, de Tokelau et même de Pitcairn.
Il faut mesurer la force et les faiblesses de cette instance de l’ONU, en évitant les déclarations à l’emporte-pièce que l’on entend ici ou là.
Ce Comité est donc chargé d’examiner le cas de 16 Territoires ou régions du monde qui sont encore considérés aux yeux des instances internationales comme devant être décolonisés, ce que peuvent contester les États que l’ONU appelle « les puissances administrantes ». Il est vrai que la plupart des territoires sur la liste sont de petites dimensions et peu peuplés, ce qui appelle à beaucoup de prudence pour déterminer leur destin.
Le Comité n’a pas l’autorité pour inscrire de nouveaux territoires, ce qui est pourtant possible si l’Assemblée générale de l’ONU le décidait.

Quelle est l’utilité de ce Comité ?
Son président reconnaît lui-même que le bilan est maigre si on s’en tient au fait que, passée la grande vague de décolonisation des années soixante, peu de pays ont pu être désinscrits de cette liste. Ainsi, au cours des 20 années passées, seul le Timor Leste a accédé à l’indépendance. MAIS, le but du Comité n’est pas seulement ou exclusivement de permettre à des territoires de devenir souverain, l’objectif est de « décoloniser ». Certes, ce mot est sujet à interprétations multiples et peut relever de la subjectivité, mais le Comité tente de relever les critères objectifs et propose de les corriger. Parallèlement au Comité, d’autres organisations de l’ONU viennent en aide aux territoires qui sont encore considérés comme relevant d’un processus de décolonisation. Les plus connues sont l’UNICEF (pour la protection des enfants), la FAO (pour la lutte contre la faim), l’UNESCO (pour l’Éducation), et il y a des fonds pour aider au développement ou à la protection de l’environnement. Autrement dit, si la finalité reste souvent l’indépendance, elle n’est pas la seule. De fait, le Comité offre trois options qui, toutes ne peuvent procéder que d’un choix démocratiquement exprimé par les « populations intéressées » (expression qui, il est vrai, soulève bien des problèmes). Outre l’hypothèse de l’indépendance, un peuple « décolonisé » peut décider de s’associer librement à un autre État (en droit français, cela semble improbable) ou de s’intégrer dans l’ancien État (ce qui exige du coup un abandon plus ou moins important de l’autonomie partiellement acquise). Rien n’empêche les juristes et les populations de proposer d’autres solutions « intelligentes », comme l’ont montré les débats à Nouméa.

Ce qui est capital, pour un territoire inscrit sur la liste des pays à décoloniser, c’est que son cas est évoqué devant la communauté internationale et que, dans un contexte finalement pacifique et pacifié, sauf exception, chacune des parties prenantes peut faire part de ce qu’il attend ou de ce qu’il propose.
Concrètement, le cas de la Nouvelle-Calédonie est exemplaire et devrait faire réfléchir au-delà des réactions épidermiques de gens mal informés.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie et les EFO (aujourd’hui la Polynésie française) furent inscrits sur la liste des pays à décoloniser. Ils en furent retirés entre 1947 et 1950 par les gouvernements successifs de la IVème République. Contrairement à ce qu’on entend, le général de Gaulle n’y est pour rien, puisqu’il avait quitté le pouvoir en janvier 1946 et qu’il ne le retrouverait qu’en 1958. La France, dans le contexte de la Guerre froide, estimait qu’elle seule pouvait déterminer si une de ses anciennes colonies devait être décolonisée et elle seule devait mettre en œuvre les moyens d’y parvenir. L’argument utilisé par la France était que les deux territoires du Pacifique évoluaient comme les départements d’outre-mer vers l’égalité avec les départements de la métropole, ce que l’Histoire n’a pas confirmé. Suite aux événements des années quatre-vingts et grâce à un puissant lobbying et la constitution d’un dossier solide, le FLNKS réussit à faire réinscrire la Nouvelle-Calédonie sur la liste en 1986. La France, d’abord fort mécontente, finit par accepter le fait et, par l’Accord de Nouméa de 1998, s’engagea dans un processus de décolonisation. Chez nos voisins, cette inscription ne semble plus guère heurter de monde, bien au contraire. Les gouvernements du Caillou, composés collégialement par les diverses forces politiques, mais dominés par des dirigeants de droite, participent volontiers aux travaux du Comité des 24. Dans son discours de clôture, le 20 mai, le président Philippe Gomès a insisté pour que les territoires inscrits sur la liste collaborent activement au Comité des 24, s’en fassent « les défenseurs » et choisissent toutes les occasions de valoriser ses travaux. Il s’est réjoui de ce que le séminaire de Nouméa a été (« pour nous » dit-il) une « source d’inspiration sur la voie de la décolonisation ». Il est intéressant que des non-indépendantistes puissent tenir ce langage. Dans d’autres interventions, le président Gomès a souligné les séquelles de la colonisation en Nouvelle-Calédonie et comment il entendait les supprimer peu à peu (ou le plus vite possible) par des mesures audacieuses que permettent ou vont permettre le transfert de compétences. Il en résulte que bientôt, ces séquelles de la colonisation devraient s’atténuer et qu’entre 2014 et 2018, des référendums donneraient la parole aux électeurs pour qu’ils décident de leur avenir, avec ou sans la France ou dans une relation nouvelle avec la France.
Le contraste est grand avec le climat polynésien où les mots « colonisation » et « décolonisation » font peur ou semblent être le fait de quelque « zozo »… Voilà pourquoi la Nouvelle-Calédonie s’engage dans la voie du « destin commun » de toutes ses composantes, quand les responsables politiques de Polynésie se déchirent pour arracher des postes et créer des clientèles.
Le mérite du Comité des 24 est de poser les vrais problèmes, non de les occulter comme on le fait trop souvent en Polynésie. Et on y procède si maladroitement qu’on fait le lit de la radicalisation. Et ceux qui ont donné l’ordre d’intervenir (j’ignore encore qui ils sont) contre Oscar Temaru devraient quand même se rappeler l’histoire récente de la France et de son outre-mer : on ne règle jamais les problèmes par la contrainte.
En Nouvelle-Calédonie, les appellations « anti-indépendantistes » et « loyalistes » sont en train de disparaître du vocabulaire politique parce que l’Accord de Nouméa a appelé un chat un chat et proclamé clairement que « le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine ». L’argument si souvent répété que la colonisation de la Polynésie a été « moins dure » qu’en Nouvelle-Calédonie revient à comparer des douleurs. Partout, en réalité, la colonisation s’est faite par les mêmes procédés : la violence (plus ou moins forte selon le type de population à laquelle on avait à faire : en 1880, les Polynésiens « colonisés » n’étaient que 8 000), par le mensonge ou des promesses fallacieuses (comme l’acte du 29 juin 1880), par l’achat des leaders politiques (comme encore le 29 juin 1880), par l’ingérence perpétuelle (par exemple dans la quasi-totalité des élections jusqu’à nos jours) et par le mépris de l’identité des populations autochtones (qui supportent plus ou moins celui-ci grâce à la religion et/ou les traditions locales). L’autre argument qui consiste à dire que la France dépense beaucoup, le président Gomès l’a balayé d’un revers de manche en prenant le cas de l’éducation. Ce n’est parce que la France déverse des milliards par an que les problèmes de l’échec scolaire et des inégalités face au savoir sont réglés. En 2012, dit-il, les Calédoniens disposeront de la quasi-totalité des compétences en matière éducatives. Alors, enfin débarrassés des contraintes étatiques, ils pourront mettre sur pied un système qui tienne réellement compte des réalités et des besoins du pays.
Puisse cette vision des choses imprégner bientôt (et avant qu’il ne soit trop tard) nos responsables polynésiens… et aussi le Gouvernement français.
Jean-Marc Regnault
Historien


 
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