TAHITI-PACIFIQUE Magazine. - N° 235, novembre 2010

SOCIETE

Tahiti, de nouveau un “protectorat” ?

On le sait, on l’a constaté, les politiques qui nous gouvernent n’acceptent pas volontiers les investisseurs étrangers au pays. Il en est même qui aimeraient limiter la participation financière dans les sociétés polynésiennes alors que sans être un "cador" en économie, c’est par l’apport de fonds extérieurs frais que la Polynésie pourra se sortir du marasme dans lequel ses dirigeants, toutes tendances confondues, l’ont jetée.
Reconnaissons que certains investisseurs arrivent quand même à obtenir les autorisations nécessaires, mais à quel prix !
La société Maxima, La Tahitienne d’Assurance, n’a pas eu cette chance : après des demandes officielles répétées, une autorisation d’exercer fut obtenue à l’arrachée en décembre 2008 auprès du président Gaston Tong Sang, à titre provisoire bien que le cas ne soit pas prévu par les textes, puis retirée par le président Oscar Temaru en avril 2009, un retrait annulé par le tribunal administratif.
En attendant que la cour d’appel administrative de Paris reconnaisse la pérennité de l’autorisation accordée en 2008, la société Maxima, toujours empêchée d’exercer, entend faire reconnaître les préjudices financiers et moraux subis à cause d’une administration dépendante et revancharde.
Le statut de 2004 se voulait encore plus affranchi que les précédents, notamment par le transfert de la compétence en matière d’assurances. Les textes appliqués par les administrations françaises en charge n’avaient pas tous été étendus à la Polynésie française. Qu’importe ! Depuis mars 2004, le pays est compétent mais n’a pas jugé bon ou il n’a pas été capable (malgré plus de 250 juristes recensés parmi 6000 fonctionnaires !) de rendre le code des assurances effectivement applicable en Polynésie française. Toutefois, devant l’urgence de faire taire les prétentions d’implantation de la société Maxima et ainsi gêner la concurrence ultra mobilisée, le conseil des ministres prend un arrêté sensé combler les lacunes du code des assurances et régler le problème Maxima une fois pour toutes. Difficile de faire vite et bien, surtout lorsqu’on ne sait pas ce qui doit être comblé, modifié, remanié dans le code des assurances. Mais l’administration ne doute de rien : elle pond un arrêté sans réelle motivation juridique, le modifie par un autre deux semaines plus tard et en prépare un troisième en rectification du précédent. Quel travail de pro !
Les arrêtés faiblissent par leur forme aussi : seule l’assemblée de la Polynésie française est compétente pour prendre une loi de pays. Le tribunal administratif renvoie donc l’administration polynésienne à revoir sa copie.
Un épisode parmi d’autres, les recours à des fins en réparation financière pour la plupart, se succèdent tant devant le tribunal d’instance que devant le tribunal administratif :
- pour rupture d’égalité entre les sociétés françaises simplement représentées en Polynésie française, lesquelles n’ont pas l’autorisation exigée pour la société Maxima mais continuent de fonctionner ;
- en dissolution du COSADA (Comité des sociétés d’assurance) aux statuts si peu représentatifs des intérêts liés au secteur d’assurance local ;
- contre Patrice Perrin, chef du service des affaires économiques pour faute détachable, en fait pour son obéissance vis-à-vis des ministres de tutelle ;
- en réparation pour atteinte à la liberté du commerce, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre concurrence ;
- en réparation pour le manque de réactivité de la Polynésie depuis 2004 en matière d’assurance, favorisant un flou juridique irresponsable et préjudiciable à la profession ; etc.
Il est bien dommage que le rapport d’Anne Bolliet ne le prévoie pas, mais quid des ministres et des fonctionnaires qui cumulent les décisions hâtives et partisanes sans en assumer les conséquences financières ?  A quand une réforme allant dans le sens de responsabiliser ceux qui dépensent les fonds publics dans un but étranger à l’intérêt général ?
Annie Rousseau

Note de la rédaction : Ce cas est similaire à celui que vit actuellement la société de téléphonie mobile Digicel. Le 5 octobre, les élus du Tahoeraa (Flosse) et de l’UPLD (Temaru) ont adopté avec 32 voix une loi, dite « Loi Drollet », qui plafonne à 35% le capital détenu par les sociétés étrangères dans une société de téléphonie mobile, une mesure destinée à protéger le monopole actuel de Tikiphone, la filiale de l’OPT. Pourtant c’est le même Drollet qui avait lui-même accordé l’autorisation à Digicel alors qu’il était ministre des Télécommunications. Réaction du ministre de l’Economie, Teva Rohfritsch : « Si l’objectif est d’interdire à Digicel d’investir dans ce pays, écrivez-le clairement ! Nous ne voulons pas de concurrence dans les Telecom ! Gardons le monopole de l’OPT, une grosse caisse dans laquelle on peut puiser, comme je l’ai entendu de la part de certains représentants en tahitien ! », et du représentant Philip Schyle : «”au lieu de faire dans l’attractif, on fait dans le répulsif : après la cherté de la vie, l’instabilité politique, les grèves et les blocages, voici une loi protectionniste contre l’investissement étranger ». Là encore, les procès en dommages-intérêts vont pleuvoir et lorsque la Polynésie française sera condamnée, ce seront encore les contribuables qui paieront la note salée, au lieu des politiciens responsables.

ENCADRE
Encore un journal perquisitionné

U-Topic, un magazine tahitien qui paraissait sporadiquement (8 numéros entre juin 2004 et mars 2009) a vécu une “aventure” judiciaire plutôt étonnante qui mérite d’être contée :
Fin mai 2006, le rédacteur en chef Denis Lagoeyte et Sophie Marion publient un article qui incrimine la qualité d’une boisson produite localement, indiquant que le produit pourrait contenir quelques traces de choses en plus de celles énoncées sur l’étiquette. Les journalistes avaient basé leur article sur un rapport d’analyse obtenu (à leurs frais) auprès du laboratoire de santé publique de France.
Quelle ne fut alors leur surprise de se voir non seulement cité à comparaître devant le tribunal correctionnel  pour « diffamation » par le producteur - ce qui est compréhensible - mais de découvrir une campagne de dénigrement contre leur magazine, communiqués et interviews à la télévision dénonçant les « allégations mensongères » de l’article avec l’aide de deux ministères, ce qui est bien moins normal.
Face aux preuves apportées par les journalistes à la Justice, le plaignant abandonna ses poursuites pour diffamation. Mais entre-temps,  une autre plainte avait été déposée contre les journalistes, cette fois-ci pour « faux et usage de faux », prétendant que les rapports d’analyses auraient été falsifiés. Or, malgré l’extinction de l’action en diffamation, l’affaire fut confiée à un juge d’instruction et “l’aventure judiciaire” prit une autre dimension : perquisitions, saisies de leurs ordinateurs, gardes à vue de 21 heures chacun, ainsi que  multiples convocations avec confrontations, bref, un parcours du combattant judiciaire qui ne se termina qu’en mars 2010, soit quatre ans après la publication de l’article, lorsque l’instruction prononça une ordonnance de non lieu définitif pour absence de charges suffisantes. Il faut révéler ici que c’est la seconde fois à Tahiti que des journalistes  sont perquisitionnés  pour simplement avoir fait leur travail avec professionnalisme, sur un sujet qui intéresse pourtant  la santé publique. Cette affaire est dans la même lignée que la perquisition subie par Mike Leyral, rédacteur en chef adjoint de la chaîne TNTV, qui lui avait osé enquêter sur la salubrité d’une clinique privée, perquisition alors dénoncée par l’association Reporter sans frontières (lire TPM 230, juin 2010) qui déclarait que la perquisition au domicile et au bureau d’un journaliste dans une affaire de diffamation, [est] « scandaleuse », expliquant que « les perquisitions et les saisies de matériel des journalistes, que ce soit à leur domicile ou à leur bureau, doivent être réservées à des cas exceptionnels, comme le prévoit d’ailleurs la loi. Nous sommes choqués que dans une affaire de “diffamation” (…) un magistrat ait recouru à ce moyen extrême. » S’intéresser aux problèmes de santé publique à Tahiti, serait-ce du terrorisme ?
AdP

 
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