"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988


Chères lectrices,
Chers lecteurs




UNE NOUVELLE SOCIETE...

Novembre 1997 aura vu la création, à grands coups d'argent publics
(financement "contrat de ville" par l'Etat) du "Carnaval de Tahiti".
Puriste de la chose tahitienne, on pourrait s'en indigner car on ne voit
pas où ce kitsch peut avoir sa place dans la société polynésienne telle que
la planète la perçoit. Mais le nombre de spectateurs venus trois soirs de
suite regarder ces défilés, plus de 15 000 clame-t-on (soit 12 000 de plus
que pour la fête de l'autonomie interne) démontre bien que la population
urbaine de Tahiti se considère dorénavant comme partie du monde occidental,
latin et de moins en moins du monde océanien.


Il est vrai que les festivités du Tiurai (nom politiquement correct :
Heiva) ne sont plus que le pâle reflet des joies populaires d'antan. Le
dispersement des festivités dans divers sites et communes, le dirigisme
bureaucratique des "responsables de la culture" ont transformé ce qui était
une fête et un village pittoresque plein de vie et de gentillesse en un
banal espace entouré de feuilles de vieux contreplaqué et d'un immense
parking où on réserve, entre autres, une soirée aux jeunes filles de bonnes
familles afin qu'elles puissent montrer à leurs parents comment elles ont
bien appris à trémousser leur derrière au Conservatoire, diplôme de leur
"tahitianité" moderne.

Il faut donc se rendre à l'évidence : la nouvelle société que représente la
jeunesse d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec la Polynésie d'il y
a 20 ans. Nourrie de séries télévisées, de musique Rock et Rap, son sens
des harmonies a changé, ses réflexes sont devenus européens, voire
américains et elle est aussi ignorante de son histoire et de sa géographie
régionale que la majorité des enseignants métropolitains venus les lui
enseigner.

Le naturel des choses veut que les populations choisissent la langue et le
mode de vie du pouvoir actuel dominant, comme nous l'expliquait Madame
Ferrieux-Patterson dans ce magazine le mois dernier, afin que ses enfants
puissent aussi accéder à une partie de la richesse distribuée. Il est donc
indéniable que nos leaders, éblouis par les fastes parisiens et qui
préfèrent le costume-cravate à la chemise pare'u pour déambuler sur les
plages des îles Marquises, donnent l'orientation du choix culturel. La
création du carnaval de Tahiti ne repose sur aucun voeu populaire et est une
décision de nos dirigeants prise pour utiliser des subventions accordées
par la Métropole. Une campagne médiatique tenta d'imposer celui-ci comme «
l'expression de la culture polynésienne » et la justification avancée par
un leader culturel expose le désarroi : « à Rio aussi, le carnaval a été
importé d'Europe, de pays latins...» Oui, mais le Brésil est un pays
d'émigrants européens et d'esclaves importés de force. Peut-être nos
sphères dirigeantes perçoivent-elles dorénavant nos îles ainsi.

« C'est pour le tourisme » est l'autre justification, mais certainement le
visiteur préférera-t-il voir le vrai à Rio ou Nice plutôt que l'imitation à
Tahiti... Un ministre annonce qu'on va remplacer nos trucks par des autobus
"normalisés" et financés Loi Pons. Tahiti aura alors les mêmes bus que
Cergy-Pontoise, un autre "dépaysement" pour le touriste de France.

Pourquoi toutes ces décisions qui "normalisent" de plus en plus nos îles ?
Peut-être l'élite de notre petit pays ne se rend -elle toujours pas compte
de ce que le mot "Tahiti" représente pour le monde industrialisé, vivier de
nos touristes : un monde DIFFERENT, une société SIMPLE (sans TVA), en
harmonie avec sa belle nature environnante, sans chichis, un pays PRESERVE
de la médiocrité universelle, c'est-à-dire ce mythe que tous les autres
pays insulaires nous envient. Des Polynésiens qui dansent la samba ou font
du patin à glace n'intéresseront personne, pas plus que des Esquimaux en
more.

« Où sont passés les milliards du CEP ? » ont demandé certains récemment.
Bientôt, lorsque les visiteurs ne viendront plus en assez grand nombre pour
permettre à nos jeunes de vivre dans la dignité, une question bien plus
grave sera alors posée : « Où est passée notre culture ? »

A propos d'histoire, Monseigneur Le Cléac'h et M. Régnault nous donnent une
vision bien différente des choses dans ce magazine. Bonne lecture !

Alex. W. du PREL

Directeur de la Publication.

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Copyright Tahiti Pacifique magazine 1997