"Ce qui vient au monde
pour ne rien troubler
ne mérite ni égards
ni patience."

René CHAR, 1907-1988


Chères lectrices,
Chers lecteurs




Atoll, Paradie et enfer

Comment ne pas parler d'atoll alors que des drames dignes de scénarios hollywoodiens s'y déroulent (lire page 7).
Pour avoir vécu longtemps, presque seul parfois, sur un atoll, je sais à quel point une telle vie peut être paradisiaque.
Dans la boîte à trésors de mes souvenirs, je garde précieusement la mémoire de ces années. Les journées entières de marche, seul, le long des plages pour compter les trous de ponte des grandes tortues de mer. Les longues balades en pirogue, d'îlot en îlot, pour m'assurer que rien ne dérange les oiseaux et leurs bébés, des grosses boules de duvet blanc perchées avec précarité sur de fragiles branches. Le souvenir de ces nuits de pleine lune, lorsque les feuilles de cocotier scintillent comme de l'argent, lorsqu'on voit le sable et les coquillages au fond du lagon mieux qu'en plein jour, lorsque notre astre soeur se reflète dans le lagon devenu miroir argenté.

L'image qui restera toujours marquée dans ma mémoire est bien celle où, après un long vol en avion sur les étendues bleu foncé du Pacifique, l'atoll apparaît comme un mirage à l'horizon, comme si les dieux avaient déposé une palette de peinture expressionniste sur l'océan. Une palette couverte de tous les échantillons possibles du bleu. Les fonds de sable blanc pur donnent à ces teintes une brillance, une luminosité absolument unique. C'est ça, le bleu qui fait mal aux yeux.
Mais il était temps que je quitte l'atoll, car ces "îles pleine d'eau" sont aussi une drogue. Le calme et la sérénité vous envoûtent. Je commençais à me trouver trop à l'aise dans cette vie, à l'abri de l'hystérie du poulailler industriel qu'est devenu le monde. Si j'étais resté encore longtemps, je serais devenu un de ces "atollomanes", un de ces blancs qui rôdent partout dans le Pacifique, d'île en île à faire des petits boulots. Ils sont facilement reconnaissables lorsqu'ils sont de passage à Papeete : bronzés à outrance, ils sourient constamment et disent bonjour à tout le monde. Et si on leur parle, on en a pour des heures. Car ils ont acquis le luxe d'avoir toujours le temps.

Mais il ne faut pas aussi oublier la réalité : un atoll est la seule terre de ce bas monde créée par la vie, par des organismes vivants, les coraux. Il est donc l'environnement le plus fragile de notre planète.

Prenons Bellinghausen, à 300 kilomètres à l'Est de Bora Bora pour exemple.
Perdu dans l'immensité bleue de l'Océan Pacifique. Un anneau de sable de huit kilomètres de diamètre. Coiffé de milliers de cocotiers, d'arbres de fer et de "miki miki", ces buissons verts aux milles branches qui réussissent même à pousser des racines dans l'eau salée. Un lagon, aux milles teintes de bleu, comme un saphir. Dix Polynésiens s'accrochaient à cette couronne à peine émergée, à ce paradis éphémère. Place-toi sur le point le plus haut de l'atoll, un amas de corail à l'extrémité d'un îlot, face à la houle éternelle qui se brise sur le récif-barrière.
Maintenant, regarde vers ta droite : l'océan, 8000 kilomètres d'océan jusqu'en Amérique du Sud. Regarde vers ta gauche : 7000 kilomètres de mer jusqu'en Australie. Regarde devant toi et il n'y a que les 9000 kilomètres d'eau salée jusqu'aux glaces du détroit de Béring. Enfin regarde derrière toi pour ne pas apercevoir la banquise antarctique au-delàs des 5000 kilomètres d'océan au Sud. C'est alors que tu te rends compte de ce qu'est l'isolement... le vrai.
Baisse ensuite les yeux et contemple les quelques morceaux de corail grisâtre mélangés à du sable qui te permettent de te tenir ainsi debout au centre du plus grand des océans. Un grand frisson te parcourt le dos car tu réalises que ces quelques coraux ne se trouvent qu'à trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Que c'est l'océan qui les a posés là et... peut donc les enlever à chaque instant. Un grand cyclone, un tremblement de terre en Alaska, au Chili, au Japon, une météorite qui tombe dans l'océan, une éruption volcanique sous-marine. Tous peuvent générer une immense onde qui déferlera sur l'atoll, emportant tout, vraiment tout... Dans une heure ou dans dix mille ans.

C'est ce qui est arrivé voici un mois lorsque neuf des dix personnes ont été emportées à jamais par les vagues du cyclone Martin, la survivante ayant réussi à s'attacher avec son pareu à un cocotier qui, par miracle, a résisté face aux vagues monstrueuses. Qui ose encore prétendre que ceux qui s'exilent sur ces îles sont des gens qui n'ont pas le courage d'affronter la "vraie" vie ? Vivre sur un atoll est bien l'ultime casino, la Grande Roulette Russe. Mais le goût du risque n'est-il pas l'épice de la vie ?

Ce numéro est le dernier de l'année 1997. Nous en profitons pour vivement remercier, encore une fois et de tout coeur, nos fidèles annonceurs et abonnés sans qui ce magazine n'existerait pas.

Evidemment merci aussi aux innombrables amis, copains, collaborateurs et amoureux de la Polynésie qui, tout au long de l'année, contribuent avec leurs textes, conseils et images à rendre votre Tahiti-Pacifique intelligent.

Joyeux Noël et bonne année à tous, en vous remerciant tous pour votre fidélité.

Alex. W. du PREL

Directeur de la Publication.

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