Tahiti-Pacifique Magazine n°198, octobre 2007

L'aventure judiciaire continue…

Le procureur Bianconi et ses acolytes utilisent
les subtiles ficelles de la justice contre Tahiti-Pacifique magazine

 

Nous nous en doutions et c'est arrivé. Notre étonnante condamnation - que nous considérons scandaleuse -lors du procès que nous avait intenté Mme Bourne, ainsi que deux autres procès de la même veine (Nelson Levy1 et Yves Haupert2) confortent notre opinion que ceux-ci n'étaient qu'une première étape, une "mise en bouche" d'une offensive de grande envergure montée par le procureur Jean Bianconi pour faire taire Tahiti-Pacifique.

Ainsi, le 1er septembre nous recevons un long fax d'une dame juge d'instruction au tribunal de grande instance (TGI) de Paris nous commandant de nous présenter à ses bureaux le 10 octobre à 9 heures (elle indique même la station de métro !), afin qu'elle puisse nous mettre en examen pour notre article "Oui, JPK a bien été assassiné" (TPM 189, p.22-25). Les plaignants dans cette lointaine procédure ne sont nuls autres que le gratin du parquet de Papeete, nommément le procureur de la République Jean Bianconi, le vice-procureur Christophe Perruaux ainsi que Philippe Stelmach, vice-président chargé de l'instruction au tribunal de première instance.

A Paris ? Pourtant tous ces hauts magistrats habitent et travaillent bien sous les cocotiers de Tahiti (raison pour laquelle ils ont d'ailleurs les honneurs dans nos pages) tout comme Tahiti-Pacifique a sa rédaction sur l'île de Moorea, à 20 kilomètres de Papeete.

Pourquoi alors Paris ? Pourquoi déplacer des actions judiciaires à 20 000 kilomètres ? N'est-ce pas ce que l'on peut nommer un « traquenard » judiciaire ?

Ainsi, rien que pour le « première convocation pour une mise en examen » au TGI de Paris, on me condamne, "pour commencer", à un voyage Moorea &endash; Tahiti &endash; Los Angeles &endash; Paris (et retour), un périple qui ne peut se faire en moins de 4 jours car il représente 38 000 kilomètres avec au minimum 46 heures d'avion et un coût d'environ 4000 euros : avion, taxis, restaurants, hôtels à Tahiti et à Paris où je ne connais personne ; achats de vêtements chauds, etc. ; je ne possède même pas une cravate. Un calvaire car il faut en sus supporter deux décalages horaires de 12 heures. L'exigence d'un tel voyage &endash; soi-disant pour la Justice &endash; n'est-il pas irréel, excessif ? Ainsi donc, avant même notre mise en examen, nous serions déjà condamnés à débourser une petite fortune que Tahiti-Pacifique n'a pas car le mensuel est une minuscule publication [tirage : 6500] presque philanthropique qui œuvre dans un micro marché (et une économie en crise) ; nos accusateurs le savent très bien.

Un ami avocat qui connaît bien l'univers parisien des robes noires du TGI de Paris nous explique le schmilblick : « Pour porter plainte à Paris, c'était simple, Bianconi n'avait même pas à demander la délocalisation. Il lui suffisait de démontrer que Tahiti-Pacifique est distribué à Paris. Il achète un magazine à Paris [la librairie L'Harmattan en vend 25 par mois], se fait délivrer une facture d'achat et le tour est joué : le délit est commis sur Paris et le tribunal de grande instance de Paris est compétent. La contestation de ce choix "potestatif" [qui dépend de la volonté d'une des parties] de la juridiction a été soulevé auparavant. C'est un vieux procédé qui a déjà été utilisé dans le passé par des petits vicieux qui faisaient un procès à St Denis de La Réunion ou à St Pierre et Miquelon, contraignant ainsi l'auteur et l'éditeur d'un livre paru à Paris à aller se défendre dans ces juridictions lointaines. Dans ces procédures, le souci de porter atteinte aux droits de la défense est évident, car le libre choix de la juridiction d'instruction et de jugement est contraire aux principes généraux du droit (on ne choisi pas son juge). Malgré cela, la cour de cassation a étrangement jusqu'à présent accepté la compétence de tous lieux où le délit a été commis. Vous aurez à vous défendre contre un Bianconi et ses acolytes assistés des lumières des parquetiers de la 4ème section du parquet de Paris spécialisé en la matière, avec une juge d'instruction qui doit avoir régulièrement ce type d'affaire à instruire, pour se terminer devant la 17ème chambre correctionnelle du TGI, spécialisée dans le droit de la presse. J'ai vu les problèmes soulevés par une telle affaire et vous ne pourrez pas vous en sortir sans un avocat expert du droit de la presse. Il est sûr que les trois magistrats vont invoquer la protection statutaire du magistrat dans l'exercice de ses fonctions. Or, c'est connu, espérer obtenir une relaxe devant la 17ème chambre du TGI de Paris doit s'attacher les services d'un professionnel de la matière. Attendez-vous à dérouiller financièrement. ».

Le traquenard est donc bien machiavélique. D'abord nos accusateurs semblent avoir utilisé des astuces de procédure connues seulement de fins légistes (trop long à exposer ici) pour nous faire ces procès. Ce qui fait qu'après la mise en examen, il faudra d'abord se défendre devant la chambre d'accusation du TGI, ce qu'on ne peut faire qu'avec des avocats compétents qui coûtent "la peau des fesses", le même par la suite pour les trois procès devant la 17ème chambre spécialisée où n'a de chance de se faire entendre que celui qui embauche les meilleurs avocats au meilleur prix. Ensuite ça sera la Cour d'appel, puis la cassation car je serai certainement condamné. En effet, s'ils me font des procès là-bas, c'est que nos accusateurs doivent certainement y avoir des amis et copains de leurs réseaux d'école, ou d'autres chapelles, prêts à nous pourfendre. En plus, les plaignants bénéficient, eux, de beaux salaires indexés et de l'assistance judiciaire, cette « protection statutaire du magistrat dans l'exercice de ses fonctions »3, ce qui leur permettra de puiser parmi les lumières des parquetiers de la 4ème section du parquet de Paris spécialisée en la matière, ainsi que des ténors du barreau de la 17ème chambre "spécialisée" du TGI de Paris où la justice est plutôt une affaire d'interminables débats entre de coûteux avocats experts sur les subtilités de la procédure et des jurisprudences, cela aux frais du pauvre justiciable, bien sûr.

Ainsi donc, si ces procédures judiciaires vont à leur terme, condamné ou acquitté, ce sera la disparition assurée de notre publication, laquelle existe depuis 17 ans et jouit d'une excellente réputation, tant sur le plan local, national comme dans la zone Pacifique.

L'acharnement manifeste du procureur Bianconi à l'encontre de certaines personnes est devenu de notoriété publique à Tahiti. Plusieurs cas en témoignent : Vetea Guilloux, celui qui a accusé le GIP d'avoir assassiné le journaliste Jean-Pascal Couraud (JPK) et pour cela a été condamné à la prison ferme, l'ex doyen des juges d'instruction de Papeete Jean-Baptiste Taliercio qui a démissionné par dégoût après son blâme (selon son avocat, les dossiers montés contre lui atteignaient 5 mètres de haut), tout comme l'ex chef de la brigade de recherche de la Gendarmerie, le capitaine Gilles Goubin lequel a vu sa carrière brisée et dut vendre son appartement, économie d'une vie d'honnête travail, afin de payer ses frais de justice.

Maintenant c'est à notre tour de subir les foudres de Bianconi. Il nous semble évident que nous allons y laisser des plumes, surtout que nos adversaires ont tous les moyens de la justice républicaine pour mieux nous broyer. Depuis une assez houleuse entrevue avec le procureur Bianconi fin 2004 (après le premier procès de Vetea Guilloux), nous avons recueilli deux témoignages, d'un magistrat comme d'un cadre du palais de justice, qui nous ont révélé que celui-ci aurait fait des déclarations du genre « je vais avoir la tête de du Prel ».

Nous pensons aussi que ce traquenard a été planifié depuis longtemps : en effet, début avril 2005 eut lieu une réunion du « premier cercle » de Gaston Flosse au cours de laquelle furent analysées les raisons du second et cuisant échec électoral du sénateur. Plusieurs confidences ainsi que des articles dans L'Hebdo confirmèrent que Tahiti-Pacifique est considéré par ces personnes être l'un des « responsables » de la chute du grand Gaston (merci pour le compliment). Donc, afin d'assurer un glorieux retour au pouvoir du "frère de Chirac", il faut faire taire ce petit organe de presse trop indépendant.

Apparemment assistait à cette réunion Mme Christine Bourne, l'ex journaliste de La Dépêche qui explique les 80 millions Fcfp (668 000 euros !) d'argent public que lui a donné l'ex président Flosse ainsi : « mon rôle était beaucoup plus confidentiel basé sur l'actualité immédiate (…) des entretiens confidentiels sur la stratégie à mener et les tactiques à utiliser étaient prévues chaque fin de semaine outre les entretiens quasi quotidiens au téléphone »4. Ce qui expliquerait la raison pour laquelle cette dame écrivait en avril 2005, dans la rubrique « Confidences » de son blog Internet, cette phrase : « Notre confrère du Prel a de grandes chances d'avoir à se disculper devant la Justice (…). De Paris à Papeete, les procès vont tomber… »5

La question est donc celle-ci : mais comment donc la conseillère confidentielle de M. Flosse pouvait-elle savoir à l'avance que nous aurions trois procès à Tahiti (d'elle et de deux autres obligés de Gaston Flosse), et surtout qu'ensuite trois magistrats du parquet allaient nous assigner devant les tribunaux de Paris ? Le procureur aurait-il pu participer à cette mémorable réunion du « premier cercle » de Gaston Flosse ??? Nous n'oserions le croire !

Bien sûr, il est évident que nous n'allons pas « passer à la moulinette » sans nous défendre, même si c'est avec nos petits moyens "provinciaux", voire "coloniaux". Nous avons donc écrit une longue lettre à Madame Rachida Dati, le ministre de la Justice et garde des Sceaux, pour lui expliquer notre problème, en précisant même que « si je témoigne à la barre du TGI de Paris comment œuvre la justice dans la lointaine île de Tahiti, pour sûr on va me prendre pour un fou tant cela paraîtra incroyable. »

Nous avons aussi contacté nos confrères de la presse parisienne, et savez vous ce que certains ont répondu ? : « Ecoute, c'est super. Le sujet de l'article sur lequel ils t'attaquent, c'est l'affaire JPK, le GIP, le réseau de protection de Flosse, etc. Enfin un procès à Paris sur ces affaires ! Alors, vas-y à fond, raconte tout ce que tu sais, nous serons tous là, aiguisons déjà nos crayons ! ». Peut-être, mais même si en fin de compte je gagnais, je serais ruiné, exsangue. Là est certainement le but de cette "manip" parisienne qui ressemble fort à une vendetta.

Une affaire, bien sûr, à suivre !

Alex W. du PREL

Notes :

1- Peu après Mme Bourne, M. Nelson Lévy, ancien trésorier du Tahoera'a (parti de M. Flosse) me traîne en justice pour une soi-disante diffamation dans le courrier d'un lecteur en me réclamant un million Fcfp de dommages-intérêts. Le connaissant de longue date, je l'appelle pour lui demander de quoi il ressort. Il me répond « Ecoute, vois avec Quinquis (l'avocat du Tahoera'a), c'est lui qui fait ça. » Peu de temps après, hélas, il décède. Quelque jours avant le procès, j'appelle et laisse des messages pour Me Quinquis qui ne répond jamais. La veille du procès, le 26 juin, j'appelle le greffe du tribunal correctionnel qui me répond « Non, je n'ai rien du tout sur le rôle, y'a pas de procès, mais appelez le greffe du parquet pour être sûr ». J'appelle ce greffe et à l'énoncé de mon nom, une dame me répond « Si, si, si, il faut venir, si, cela a été consigné, le procès aura lieu ». Panique, vite préparer ma défense jusque tard dans la nuit, prendre le bateau de 5 heures pour être au tribunal à 8 heures où je découvre que mon affaire a été rajoutée en bas du rôle. Ensuite, la présidente du tribunal s'entendra dire par le conseil de Nelson Levy qu'il n'y a pas de délégation des héritiers, et on m'annonce qu'on m'avisera de la nouvelle date d'un procès. Je dois attendre jusqu'à fin août pour recevoir une lettre du tribunal correctionnel qui m'annonce que comme M. Levy n'avait jamais consigné, l'affaire est classée. On m'avait donc fait venir au tribunal alors qu'on savait très bien qu'il ne pouvait y avoir de procès. Voilà qui ressemble fort à une instrumentalisation de la justice.

2- Pour la plainte de Yves Haupert (ancien chef de la propagande du président Flosse, même avocat, même million réclamé, mêmes raisons fallacieuses), je me retrouve à la barre le 31 juillet (après que M. Flosse ait "pacsisé" avec M. Temaru) et, Ô surprise, je peux parler, je peux me défendre, on me laisse plaider librement. Le 26 septembre, le tribunal déboute M. Haupert et prononce ma relaxe.

3 &endash; Assistance dont avait bénéficié le haut-commissaire Mathieu suite à la plainte de Yves Conroy qui lui reprochait de refuser de démettre de ses fonctions le vice &endash; président de l'assemblée Henri Flohr, pourtant définitivement condamné à l'inéligibilité. Grâce à un ténor venu du barreau de Paris, l'affaire eut droit à un enterrement "élyséen".

4 - Extraits du rapport de la Chambre territoriale des Comptes.

5 - http.//www.tahititoday.com/archives/Confidences/Avril%202005/Confidence%2008%20avril.htm