Un dernier pour la route
Ce sera donc mon dernier édito, puisque l’âge peut-être prématuré de la retraite m’a atteint. Je vous écris donc une dernière fois en tant que rédacteur en chef, victime consentante de la réforme des retraites, à laquelle nous avons consacré de nombreux sujets.
La retraite offre l’occasion de faire un bilan parmi d’autres de sa vie professionnelle. La mienne fut quasiment consacrée au journalisme dès mes débuts, en 1986, à La Dépêche de Tahiti, quand le grand patron s’appelait Philippe Mazellier et que le bâtiment n’avait qu’un étage. Puis, le groupe Hersant a repris la main l’année d’après, pendant environ vingt-cinq ans, avant que des investisseurs locaux, sans aucune expérience, ne tentent l’aventure. La suite, on la connaît.
J’ai eu l’opportunité il y a bientôt trois ans de quitter ce navire, non sans un pincement au cœur, pour rejoindre le groupe Fenua Communication et prendre les rênes de Tahiti Pacifique, bien épaulé, jusqu’à son décès, par son fondateur Alex W. du Prel. Une expérience qui m’a permis de voir de l’autre côté du miroir, bien éloignée de la façon dont j’avais pu traiter l’information quotidienne jusque-là. De mes discussions avec Alex, je retiendrai que derrière la carte postale idyllique, il y a un pays de gabegie où tout doit passer par l’autorité centrale, le pouvoir politique en place, et ce, quel qu’il soit. En ce domaine, aucun parti politique ne peut faire la morale aux autres. Tous les impôts et diverses taxes, même affectés à des actions ciblées lors de leur présentation, finissent dans le grand pot commun. Quelle place est laissée à la libre entreprise ? Les investisseurs doivent-ils obligatoirement plier genou devant nos politiques ? Doivent-ils se justifier auprès d’eux ? Ce besoin de tout centraliser s’apparente à la technocratie.
Nos dirigeants sont là pour mettre en place les structures, les facilités pour les investisseurs ; pas pour se servir d’eux pour leur publicité. Mais ici, si l’on travaille sur les premières, on n’oublie surtout pas la seconde... ! Me revient cette anecdote sur Gaston Flosse qui s’étonnait de ne pas rencontrer l’investisseur du Centre Vaima, ce dernier de s’interroger sur la nécessité d’une telle rencontre. Mais au fenua, on aime se faire photographier, justifier ses actions auprès de la population et pour cela a été créé un Service de la "communication" à la Présidence – pas de "presse", oui, de "communication" ! – et même de "propagande" : les rédactions sont abreuvées de communiqués bien ficelés, clés en main, qu’il ne reste plus qu’à reproduire ou à lire. Et si vous jouez le jeu, vous n’aurez aucune difficulté à obtenir "audience" auprès d’un ministre ou d'un chef de cabinet. Si vous ne le faites pas, malheur à vous ! On enregistrera votre demande, qui sera relayée et qui, bien souvent, n’aboutira pas. À Tahiti Pacifique, nous en parlons en connaissance de cause ; nous fourmillons d’exemples. Peut-être pense-t-on que c’est une manière de nous décourager ?
Il faut tempérer cette critique envers ce Service de "communication", qui ne fait qu’agir aux ordres d’un supérieur hiérarchique. Ce dernier a d'ailleurs tendance à oublier qu’il fut aussi, en son temps, un modèle de critique du pouvoir en place.
Je ne vais pas vous quitter sans adresser quelques remerciements à toutes celles et ceux qui collaborent à notre magazine, parfois même de manière désintéressée, à celles et ceux qui apportent des sujets, parfois en catimini et, bien entendu, à toutes celles et ceux qui nous font confiance en nous lisant toutes les quinzaines.
Je suis heureux de passer la main à Dominique Schmitt, qui saura garder l’esprit de Tahiti Pacifique en dépit des difficultés, grâce à votre soutien. Le lancement d’une nouvelle rubrique sur le dérèglement climatique, riche de nombreuses controverses, va venir enrichir le magazine, dès ce numéro. Nous ouvrons un débat, tant les opinions sont diverses sur un sujet de notre temps.
N’est-ce pas là aussi le rôle de Tahiti Pacifique qui, pour paraphraser Alex du Prel, continue de survivre ?
Bonne lecture et merci pour votre fidélité.
Luc Ollivier