"L’intervention de M. Dropsy (qui est professeur de sciences économiques à l’Université de la Polynésie française et aussi l’un de nos contributeurs pour la rubrique "L’Économie", ndlr) sur l’une de nos radios a un grand mérite, celui de poser la question de la relance de notre économie. Un grand merci. Les commentateurs n’en ont retenu que le volet fiscal, sujet sensible s’il en est depuis 1958. Loin de moi l’idée de refuser cet aspect essentiel de tout système économique. Pourtant, je crois qu’il faut commencer par considérer notre situation en général.
Rappelons quelques faits. Tout d’abord, le poids de la dépense publique est proche des trois quarts de notre produit intérieur brut. C’est probablement excessif et c’est probablement aussi l’une des causes de notre sous-développement économique : l’essentiel du commerce et de l’industrie locale est influencé par cette dépense publique, directement par les commandes publiques, et indirectement par les dépenses des près de 20 000 fonctionnaires, auquel il faut ajouter les sociétés du secteur public et les associations qui bénéficient de subventions.
Ensuite, la lourdeur administrative, héritée de la France qui n’est pas un exemple à suivre, et les interventions publiques, trop nombreuses dans les projets privés, rendent la création et le développement des entreprises coûteux et lent.
La liste serait incomplète sans parler de fiscalité. Les critiques du professeur Dropsy sont exactes et la solution qu’il propose une voie possible. Le principal avantage de l’impôt sur le revenu, outre une assiette qui pourrait être élargie, serait la progressivité, que beaucoup voient comme un facteur d’équité. Il ne faut cependant pas oublier les difficultés d’une mise en place et d’un suivi. Il faut aussi un véritable consentement à l’impôt. Quelques expériences vécues ici me font douter de sa profondeur et, comme dans tous les petits pays, les risques de sollicitations de faveurs sur sa collecte sont forts. Au moins, le système de taxation indirecte évite cet inconvénient. Pour compliquer le schéma, la question de la progressivité ne peut se comprendre que lorsque la part de l’économie informelle reste faible. Dans ce domaine, nous avons tous expérimenté la pression amicale de petits entrepreneurs qui préfèrent les espèces et les ventes au bord de la route. Là encore, les taxations indirectes limitent cet inconvénient.
Pour terminer sur cette question de la fiscalité, il faut aussi se convaincre qu’une réforme fiscale ne pourrait pas générer de nouvelles ressources pour le Pays, tant le poids des prélèvements actuels est déjà lourd, mais surtout parce qu’aucun pays ne peut survivre longtemps avec des dépenses publiques aussi élevées. Lorsque la Nouvelle-Zélande s’est réformée, il y a bientôt quarante ans, la réforme fiscale n’a pas rapporté un dollar de plus au Trésor et, surtout, elle n’était qu’un volet d’une libéralisation générale de l’économie.
À mon avis, le vrai débat est ailleurs. La question existentielle de la Polynésie autonome économiquement – voire indépendante si un jour les Polynésiens le souhaitent – est surtout comment développer une activité économique autonome. C’est dans ce domaine qu’il faut se poser les bonnes questions. Quel est le rôle des autorités ? Comment encourager les entrepreneurs à se lancer, à se développer ? Comment assurer ce développement dans le cadre social et environnemental voulu par les habitants ? Comment s’assurer que les abus relatifs à la concurrence, à la corruption et au clientélisme soient réprimés sans pitié ?
Voici quelques pistes : les autorités du Pays devraient changer leur façon de considérer l’économie. Héritage de la colonisation, considérer que les entreprise sont sous la tutelle du pays est une erreur ; c’est le Pays qui doit être au service des entreprises pour qu’elles puisent se développer. Encore faut-il qu’elles en aient envie. La situation actuelle est plutôt confortable. Une concurrence modérée ; une clientèle captive ; un secteur public généreux, à condition de le cultiver. La priorité du secteur public vers les entreprises locales, bien compréhensible, assure globalement à ces entrepreneurs un chiffre d’affaires significatif, souvent clé pour la survie de l’entreprise. Vont-elle accepter de sortir de leur zone de confort ?
Enfin, il y a ce que veulent les habitants du pays. C’est peut-être le plus important. Veulent-ils ouvrir leur pays pour participer activement à l’économie mondiale ? Ou préfèrent-ils une vie modeste, mais moins soumis aux aléas de la conjoncture, protégés par une muraille de règlements et de taxes, avec l’aide bienveillante de la France ? Ou souhaitent-ils avancer prudemment, pas à pas, vers une autonomie plus grande, une ouverture plus large, des opportunités plus nombreuses et des choix plus riches ?
Il n’y a pas qu’une seule voie. Une réforme brutale, comme en Nouvelle-Zélande, fait toujours suite à une situation de crise grave. Grâce à la gestion prudente de nos autorités et grâce au soutien de la France, en dehors du secteur du tourisme, sinistré, nous n’en sommes pas là. Remercions le ciel.
Nous devons cependant tirer les conséquences de la crise réelle que nous traversons. Notre activité économique, en premier au service du secteur public, puis au service des touristes, manque de diversification. Les initiatives sont rendues difficiles par une réglementation pléthorique, une lourdeur administrative et des interventions publiques trop nombreuses.
Pourtant, chaque initiative est précieuse, car c’est le moteur du futur. Chaque entrepreneur doit être encouragé, accompagné. Ses démarches doivent être facilitée pour qu’il puisse se consacrer totalement à son projet. Nous avons beaucoup d’auto-entrepreneurs. Demandons-nous comment leur faciliter le passage à l’entreprise. Nous produisons de nombreux produits, en quantité trop faible (je pense à la vanille, mais le litchi pourrait aussi être développé) et, parfois, d’une qualité insuffisante. Demandons-nous comment encourager la production et améliorer la qualité. Demandons-nous aussi si leur mode de commercialisation et la logistique d’exportation ne devraient pas être revus.
Les idées ne manquent pas dans notre pays, les talents non plus. Demandons-nous comment nous pouvons aider les seconds à faire naître des entreprises sur la base des premières, et comment accompagner leur développement. Demandons-nous comment libérer l’entrepreneur du poids insupportable des démarches actuelles et comment accélérer la réactivité publique, lorsque l’administration est sollicitée. J’entends déjà les réactions de nombreux fonctionnaires : c’est impossible, c’est du rêve. Chaque fois que je vis ce genre de réaction, je pense à cet empereur de Chine à qui tous les mandarins de son entourage avaient dit que c’était impossible. Arriva un jeune mandarin. Il ne savait pas que c’était impossible, et il le fit.
Pour terminer, et puisque nous sortons de la période des vœux, me permettrez-vous d’en adresser à nos hommes et femmes politiques. Comme tous vos semblables, votre boussole est calée sur la prochaine élection. Je ne vous en veux pas. Pour agir, il faut être élu. Votre tendance naturelle est bien sûr de ne vous aliéner aucun soutien. C’est pourquoi tant d’administrations dans le monde sont soupçonnées d’immobilisme. Je vous souhaite cependant de lever un peu la tête, de regarder au-delà de votre boussole, vers la ligne d’horizon. Comme vos ancêtres qui ont traversé les océans sans instruments, vous y verrez, je l’espère, des signes qui vous aideront à choisir la bonne direction, pour le bien des habitants et pour le bien du pays, sans pour autant prendre le risque de ne pas être élu.”
Patrick Finker
Rappelons quelques faits. Tout d’abord, le poids de la dépense publique est proche des trois quarts de notre produit intérieur brut. C’est probablement excessif et c’est probablement aussi l’une des causes de notre sous-développement économique : l’essentiel du commerce et de l’industrie locale est influencé par cette dépense publique, directement par les commandes publiques, et indirectement par les dépenses des près de 20 000 fonctionnaires, auquel il faut ajouter les sociétés du secteur public et les associations qui bénéficient de subventions.
Ensuite, la lourdeur administrative, héritée de la France qui n’est pas un exemple à suivre, et les interventions publiques, trop nombreuses dans les projets privés, rendent la création et le développement des entreprises coûteux et lent.
La liste serait incomplète sans parler de fiscalité. Les critiques du professeur Dropsy sont exactes et la solution qu’il propose une voie possible. Le principal avantage de l’impôt sur le revenu, outre une assiette qui pourrait être élargie, serait la progressivité, que beaucoup voient comme un facteur d’équité. Il ne faut cependant pas oublier les difficultés d’une mise en place et d’un suivi. Il faut aussi un véritable consentement à l’impôt. Quelques expériences vécues ici me font douter de sa profondeur et, comme dans tous les petits pays, les risques de sollicitations de faveurs sur sa collecte sont forts. Au moins, le système de taxation indirecte évite cet inconvénient. Pour compliquer le schéma, la question de la progressivité ne peut se comprendre que lorsque la part de l’économie informelle reste faible. Dans ce domaine, nous avons tous expérimenté la pression amicale de petits entrepreneurs qui préfèrent les espèces et les ventes au bord de la route. Là encore, les taxations indirectes limitent cet inconvénient.
Pour terminer sur cette question de la fiscalité, il faut aussi se convaincre qu’une réforme fiscale ne pourrait pas générer de nouvelles ressources pour le Pays, tant le poids des prélèvements actuels est déjà lourd, mais surtout parce qu’aucun pays ne peut survivre longtemps avec des dépenses publiques aussi élevées. Lorsque la Nouvelle-Zélande s’est réformée, il y a bientôt quarante ans, la réforme fiscale n’a pas rapporté un dollar de plus au Trésor et, surtout, elle n’était qu’un volet d’une libéralisation générale de l’économie.
À mon avis, le vrai débat est ailleurs. La question existentielle de la Polynésie autonome économiquement – voire indépendante si un jour les Polynésiens le souhaitent – est surtout comment développer une activité économique autonome. C’est dans ce domaine qu’il faut se poser les bonnes questions. Quel est le rôle des autorités ? Comment encourager les entrepreneurs à se lancer, à se développer ? Comment assurer ce développement dans le cadre social et environnemental voulu par les habitants ? Comment s’assurer que les abus relatifs à la concurrence, à la corruption et au clientélisme soient réprimés sans pitié ?
Voici quelques pistes : les autorités du Pays devraient changer leur façon de considérer l’économie. Héritage de la colonisation, considérer que les entreprise sont sous la tutelle du pays est une erreur ; c’est le Pays qui doit être au service des entreprises pour qu’elles puisent se développer. Encore faut-il qu’elles en aient envie. La situation actuelle est plutôt confortable. Une concurrence modérée ; une clientèle captive ; un secteur public généreux, à condition de le cultiver. La priorité du secteur public vers les entreprises locales, bien compréhensible, assure globalement à ces entrepreneurs un chiffre d’affaires significatif, souvent clé pour la survie de l’entreprise. Vont-elle accepter de sortir de leur zone de confort ?
Enfin, il y a ce que veulent les habitants du pays. C’est peut-être le plus important. Veulent-ils ouvrir leur pays pour participer activement à l’économie mondiale ? Ou préfèrent-ils une vie modeste, mais moins soumis aux aléas de la conjoncture, protégés par une muraille de règlements et de taxes, avec l’aide bienveillante de la France ? Ou souhaitent-ils avancer prudemment, pas à pas, vers une autonomie plus grande, une ouverture plus large, des opportunités plus nombreuses et des choix plus riches ?
Il n’y a pas qu’une seule voie. Une réforme brutale, comme en Nouvelle-Zélande, fait toujours suite à une situation de crise grave. Grâce à la gestion prudente de nos autorités et grâce au soutien de la France, en dehors du secteur du tourisme, sinistré, nous n’en sommes pas là. Remercions le ciel.
Nous devons cependant tirer les conséquences de la crise réelle que nous traversons. Notre activité économique, en premier au service du secteur public, puis au service des touristes, manque de diversification. Les initiatives sont rendues difficiles par une réglementation pléthorique, une lourdeur administrative et des interventions publiques trop nombreuses.
Pourtant, chaque initiative est précieuse, car c’est le moteur du futur. Chaque entrepreneur doit être encouragé, accompagné. Ses démarches doivent être facilitée pour qu’il puisse se consacrer totalement à son projet. Nous avons beaucoup d’auto-entrepreneurs. Demandons-nous comment leur faciliter le passage à l’entreprise. Nous produisons de nombreux produits, en quantité trop faible (je pense à la vanille, mais le litchi pourrait aussi être développé) et, parfois, d’une qualité insuffisante. Demandons-nous comment encourager la production et améliorer la qualité. Demandons-nous aussi si leur mode de commercialisation et la logistique d’exportation ne devraient pas être revus.
Les idées ne manquent pas dans notre pays, les talents non plus. Demandons-nous comment nous pouvons aider les seconds à faire naître des entreprises sur la base des premières, et comment accompagner leur développement. Demandons-nous comment libérer l’entrepreneur du poids insupportable des démarches actuelles et comment accélérer la réactivité publique, lorsque l’administration est sollicitée. J’entends déjà les réactions de nombreux fonctionnaires : c’est impossible, c’est du rêve. Chaque fois que je vis ce genre de réaction, je pense à cet empereur de Chine à qui tous les mandarins de son entourage avaient dit que c’était impossible. Arriva un jeune mandarin. Il ne savait pas que c’était impossible, et il le fit.
Pour terminer, et puisque nous sortons de la période des vœux, me permettrez-vous d’en adresser à nos hommes et femmes politiques. Comme tous vos semblables, votre boussole est calée sur la prochaine élection. Je ne vous en veux pas. Pour agir, il faut être élu. Votre tendance naturelle est bien sûr de ne vous aliéner aucun soutien. C’est pourquoi tant d’administrations dans le monde sont soupçonnées d’immobilisme. Je vous souhaite cependant de lever un peu la tête, de regarder au-delà de votre boussole, vers la ligne d’horizon. Comme vos ancêtres qui ont traversé les océans sans instruments, vous y verrez, je l’espère, des signes qui vous aideront à choisir la bonne direction, pour le bien des habitants et pour le bien du pays, sans pour autant prendre le risque de ne pas être élu.”
Patrick Finker

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