Une étude globale de l’Outre-mer français
Jean-Christophe Gay vient de publier La France d’Outre-mer - Terres éparses, sociétés vivantes, un ouvrage édité chez Armand Colin (collection U, 286 pages). Enfin, dirons-nous, un livre qui tente de prendre en compte les problèmes globaux des restes de l’empire colonial français et les particularités de chacune de ces terres qui apportent à la France un certain rayonnement et pas mal d’ennuis. Un ouvrage écrit par un géographe, professeur à l’Institut d’administration des entreprises (Université de Nice), qui a travaillé longtemps en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie pour publier les deux atlas (1993 et 2012) consacrés à ces collectivités, et qui a sillonné les autres ensembles français des océans Indien et Atlantique. Pour une fois, osons-nous avancer, l’Océanie n’est pas marginalisée, en même temps que la comparaison avec les autres territoires ultramarins relativise ce qu’on appelle parfois ses particularismes. Un géographe qui a intégré le fait que l’Histoire est omniprésente Outre-mer. C’est donc avec un véritable plaisir que nous avons lu et analysé cet ouvrage.
Parmi les raisons d’apprécier le travail, il y a des vérités énoncées sans fard, mais qui ne conduisent pas à la démolition systématique de la présence française comme elle ressort de nombreux travaux, parce que l’auteur précise qu’”on ne peut pas comprendre l’OM (Outre-mer, ndlr) sans analyser sa relation avec la Métropole” (p. 13), ce dernier mot étant largement expliqué. Ainsi, les introductions de plusieurs chapitres annoncent la couleur :
L’Outre-mer (OM), c’est une forme actualisée de “colonie” (p. 15).
L’État a façonné l’espace ultramarin et sa société, avec “des populations qu’il a asservies, déplacées, spoliées, brutalisées, décimées” (p. 29)… tout en soulignant qu’aujourd’hui la subordination a été remplacée par un mélange de fraternité et de mépris.
Si, officiellement, on dénie des inégalités en relation avec l’ethnicité (article 1 de la Constitution), “plus on a la peau noire et plus on a des risques d’être au bas de l’échelle sociale” (p. 63). Globalement, les populations ultramarines sont fragilisées (p. 100) avec d’importantes proportions d’entre elles sous le seuil de pauvreté, avec des problèmes sanitaires (dénoncés par la Cour des Comptes), des femmes plus vulnérables qu’ailleurs quand bien même on loue leur beauté et une violence plus marquée encore qu’en Métropole.
Les atouts que possède l’OM sont mal protégés par la France, qui manque de moyen ou ne s’en dote pas pour les valoriser. “C’est le plus gros échec de la France dans la gestion de ces territoires” (p. 135). L’exemple de la vaste ZEE en témoigne. Les moyens sont loin des ambitions (p. 144). La biodiversité exceptionnelle est en péril. L’auteur dénonce le scandale des maisons trémolitiques de Nouvelle-Calédonie (exposition à l’amiante). Il déplore les victimes du nucléaire en Polynésie (mais moins nombreuses que celles touchées par l’obésité, souligne-t-il). Il reproche aux autorités leur laxisme dans le scandale du chlordécone aux Antilles (p. 171).
J.-C. Gay consacre plusieurs pages aux maux communs à l’OM : chômage chronique, faible compétitivité, faible productivité et vie chère souvent par manque de concurrence. La différence entre fonctionnaires et autres salariés est capitale pour comprendre les maux de l’OM. La sur-rémunération des premiers provoque de nombreux problèmes et les soutiens à l’économie (“une stratégie mûrie à Paris”) placent les anciens TOM dans un système qui marginalisa les tentations autonomistes, puis indépendantistes (p. 182). C’est toujours vrai en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie avec la rente nucléaire. L’auteur dénonce l’argument des syndicats de fonctionnaires pour lesquels la sur-rémunération entretient la consommation, car elle empêche les économies d’OM d’avoir des secteurs productifs compétitifs (p. 185). L’auteur a cette audace : “La dépendance à la Métropole est donc exploitée et non combattue” (p. 186).
Le chapitre 5 (centres et périphéries ultramarines) est certainement celui qui porte le plus la marque du géographe. Si cela commence par quelques constats simples (les contrastes entre des centres et des périphéries sont plus prégnants qu’en Métropole, car l’espace est “rugueux” et la “distance tyrannique”, p. 203), ensuite les analyses sont plus techniques, mais toujours faciles à lire… et à comprendre. L’étude de l’espace Outre-mer le différencie nettement de la Métropole. L’auteur parle “d’îles d’île, une autre façon de désigner ce qu’on appelle en Polynésie les archipels éloignés. La desserte des “îles secondaires” est difficile et chère. Le coût du transport des dernières centaines de kilomètres peut devenir exorbitant.
La politique internationale n’est pas négligée (rapports de l’OM avec l’Union européenne, conflits de souveraineté par exemple entre le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie, conflits entre Chine et Taïwan par territoires ultramarins interposés…).
En conclusion, l’auteur se défend d’avoir pris le contre-pied du livre de François Garde (Petit éloge de l’Outre-mer, Gallimard, 2018), dont nous avions rendu compte à l’époque dans ces colonnes. En effet, les nombreuses critiques sur “l’amateurisme dont l’État fait preuve” à l’égard de l’OM laissent entrevoir un espace français ultramarin qui serait “une France en souffrance” (p. 251). Cependant, l’auteur, comme F. Garde, aime cet OM composé de “sociétés originales, vivantes, multiculturelles, avec leurs démons, mais dans lesquelles cohabitent en paix diverses communautés”.
Au final, un livre savant à la portée de tous, bien construit, clair et convaincant, auquel on reprochera seulement de ne pas s’être référé aussi à quelques travaux qui auraient complété heureusement les analyses, mais embrasser autant de territoires divers en même temps est une performance qu’il faut saluer.