Lettre du chef du Service historique de l'armée de terre autorisant J.-M. Regnault à consulter les archives de la série 13 R relative au CEP
Comme nous aimerions entendre le Président reconnaître, à Tahiti, que la France a une part d’Océanie en elle, comme il avait proclamé haut et fort que la France avait une part d’Afrique en elle. Et c’est en Polynésie qu’il devrait énoncer cette vérité, car elle n’a pas seulement donné des hommes et des femmes pour les armées françaises, elle a "prêté" son sol pour que la France puisse mettre au point l’arme qui devait lui épargner des attaques sur son territoire métropolitain et ainsi dissuader l’ennemi de venir l’envahir, comme en 1914 ou 1940. En "prêtant" son sol, en des endroits limités (Moruroa, Fangataufa, Hao), la Polynésie a bouleversé son destin. Elle ne savait pas, en faisant ce geste de solidarité, que des hommes, des femmes et des enfants subiraient des dommages personnels à cause des retombées initialement non prévues et que ses terres et ses eaux seraient atteintes.
Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron y sont allés de leurs couplets sur la reconnaissance de la France. En 2003, Jacques Chirac, lors d’une mémorable visite à son "frère et ami" Gaston Flosse proclama :
"La Polynésie française a participé de manière déterminante à la Défense nationale et à la Sécurité extérieure de la France qui ne l'oubliera jamais (...) Sans la Polynésie, la France ne serait pas la grande puissance qu'elle est, capable d'exprimer, dans le concert des nations, une position autonome, indépendante et respectée. La République ne l'oublie pas."
En février 2016, François Hollande ne fut pas seulement reconnaissant pour la France, il reconnut que "les essais nucléaires menés en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires et aussi entraîné des bouleversements sociaux lorsque les essais ont cessé".
Entre ces deux dates, la loi dite loi Morin (2010), pour critiquable qu’elle fût, n’en était pas moins un coup fatal au mythe des "essais propres".
Dans un article paru en 2015 dans la Revue d’Histoire diplomatique, intitulé "L’outre-mer français pour faire face à la menace nucléaire (1946-1969)", nous soulignions à quel point, pour relever le défi des armes nouvelles, la France limitée à son sol métropolitain dût admettre que sa survie dépendrait désormais de ses terres ultramarines. Celles-ci furent d’abord envisagées comme des refuges : ce ne serait plus à Londres qu’il faudrait aller reconstituer les forces de la France, mais le plus loin possible… Puis, la France jugea nécessaire qu’elle ait sa propre défense nucléaire quand elle finit par se rallier à l’avertissement du lieutenant-colonel Binoche (il n’était pas encore général) : "Nous ne pouvons pas être à la merci d’une distribution de bombes atomiques qui nous serait faite parcimonieusement peut-être par nos alliés." (Note de 1955). Autrement dit, pour sa sécurité, la France ne devait pas trop compter sur le "parapluie américain".
Dès lors, il fallut choisir un endroit dans le monde où la France – sur une terre qu’elle estimait être sienne – pourrait réaliser des essais avec le maximum de sécurité (du moins, accordons-lui de l’avoir pensé sincèrement).
On sait maintenant qu’en 1957, elle dut se résigner à choisir le Sahara provisoirement, oui provisoirement car, dans le désert algérien, l’environnement géographique n’autoriserait pas des expériences atmosphériques de grande puissance et la géologie ne permettrait pas davantage des expériences souterraines en profondeur. Ces faits sont établis sans discussion possible par les archives des Conseils de Défense que nous avions pu consulter, en 2012 et 2013, avec des autorisations exceptionnelles (dans le cadre des recherches sur Pouvana’a a Oopa).
Depuis les états généraux de l’Outre-mer, tenus en Polynésie en 2009, il est question que la France reconnaisse encore mieux le fait nucléaire, en apportant son appui à la création de ce qu’on a d’abord appelé un Centre d’archives et qu’on projette maintenant d’appeler Centre de mémoire (et de réflexion autour des essais nucléaires et de leurs conséquences). F. Hollande avait promis de le mettre en place, ce qui semble aujourd’hui en bonne voie.
L’UPF, à travers l’une de ses institutions, la Maison des Sciences de l’Homme, a proposé de lancer une vaste recherche sur l’histoire du nucléaire pour ce futur Centre de mémoire, avec l’appui du Pays et de l’État. Problème : peut-on faire l’Histoire sans archives ?
Expliquons.
Comme le montre le document ci-dessus émanent du Service historique de la Défense, les archives de la série GR 13 R (nomenclature des archives) ne sont pas communicables.
Or, en 1998, nous avions obtenu du ministre de la Défense, M. Alain Richard, l’autorisation de consulter cette série et d’autres du reste (voir photo). Cette recherche a donné lieu à des publications dans des revues scientifiques d’Histoire militaire (en France et aux États-Unis). Donc avec approbation des forces armées. Du reste, l’Amiral Jean Moulin avait tenu à nous féliciter publiquement lors d’une conférence à l’UPF en 1999. Une large part des archives du CEP est donc dans le domaine public, nos articles et ouvrages étant en librairies.
Notre surprise fut grande, en 2013, quand nous demandâmes à consulter une nouvelle fois ces archives pour procéder à des vérifications : le "secret Défense" nous fut opposé.
Que s’était-il passé entre deux ? La réponse avait été donnée lors des états généraux de l’Outre-mer tenus à Papeete en 2009. Dans l’atelier 7, présidé par Patrick Howell et consacré au nucléaire, nous apprîmes que la loi 2008-696 du 15 juillet 2008, si elle avait facilité l’accès à certaines archives, avait rendu la communication d’autres archives plus difficile. Ainsi, n’ont pas été déclassifiées certaines archives, qui ne portaient pas atteinte à la dignité des personnes ou à la sûreté de l’État, sans qu’on sache réellement la raison de la non-communication.
Monsieur le président de la République, si vous voulez que le Centre de mémoire du nucléaire projeté en Polynésie soit crédible (c’est-à-dire que vous, Président, soyez crédible), il est impératif que vous mettiez fin à cette anomalie du grand retour en arrière de la transparence des Armées. Vous avez auprès de vous un homme qui soutient votre démarche de politique générale, M. Alain Richard qui, en 1998, nous autorisa à consulter les archives du CEP. Comment vous et lui pourriez-vous justifier qu’elles soient aujourd’hui interdites aux chercheurs ?
Un sociologue du CNRS, Yannick Berthe, avait dit, au moment du vote de la loi de 2008 ci-dessus évoquée, que le secret absolu (la non-communication des archives) forçait le bavardage. Du bavardage, vous en entendrez en venant visiter la Polynésie. À qui la faute ? n
Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron y sont allés de leurs couplets sur la reconnaissance de la France. En 2003, Jacques Chirac, lors d’une mémorable visite à son "frère et ami" Gaston Flosse proclama :
"La Polynésie française a participé de manière déterminante à la Défense nationale et à la Sécurité extérieure de la France qui ne l'oubliera jamais (...) Sans la Polynésie, la France ne serait pas la grande puissance qu'elle est, capable d'exprimer, dans le concert des nations, une position autonome, indépendante et respectée. La République ne l'oublie pas."
En février 2016, François Hollande ne fut pas seulement reconnaissant pour la France, il reconnut que "les essais nucléaires menés en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires et aussi entraîné des bouleversements sociaux lorsque les essais ont cessé".
Entre ces deux dates, la loi dite loi Morin (2010), pour critiquable qu’elle fût, n’en était pas moins un coup fatal au mythe des "essais propres".
Dans un article paru en 2015 dans la Revue d’Histoire diplomatique, intitulé "L’outre-mer français pour faire face à la menace nucléaire (1946-1969)", nous soulignions à quel point, pour relever le défi des armes nouvelles, la France limitée à son sol métropolitain dût admettre que sa survie dépendrait désormais de ses terres ultramarines. Celles-ci furent d’abord envisagées comme des refuges : ce ne serait plus à Londres qu’il faudrait aller reconstituer les forces de la France, mais le plus loin possible… Puis, la France jugea nécessaire qu’elle ait sa propre défense nucléaire quand elle finit par se rallier à l’avertissement du lieutenant-colonel Binoche (il n’était pas encore général) : "Nous ne pouvons pas être à la merci d’une distribution de bombes atomiques qui nous serait faite parcimonieusement peut-être par nos alliés." (Note de 1955). Autrement dit, pour sa sécurité, la France ne devait pas trop compter sur le "parapluie américain".
Dès lors, il fallut choisir un endroit dans le monde où la France – sur une terre qu’elle estimait être sienne – pourrait réaliser des essais avec le maximum de sécurité (du moins, accordons-lui de l’avoir pensé sincèrement).
On sait maintenant qu’en 1957, elle dut se résigner à choisir le Sahara provisoirement, oui provisoirement car, dans le désert algérien, l’environnement géographique n’autoriserait pas des expériences atmosphériques de grande puissance et la géologie ne permettrait pas davantage des expériences souterraines en profondeur. Ces faits sont établis sans discussion possible par les archives des Conseils de Défense que nous avions pu consulter, en 2012 et 2013, avec des autorisations exceptionnelles (dans le cadre des recherches sur Pouvana’a a Oopa).
Depuis les états généraux de l’Outre-mer, tenus en Polynésie en 2009, il est question que la France reconnaisse encore mieux le fait nucléaire, en apportant son appui à la création de ce qu’on a d’abord appelé un Centre d’archives et qu’on projette maintenant d’appeler Centre de mémoire (et de réflexion autour des essais nucléaires et de leurs conséquences). F. Hollande avait promis de le mettre en place, ce qui semble aujourd’hui en bonne voie.
L’UPF, à travers l’une de ses institutions, la Maison des Sciences de l’Homme, a proposé de lancer une vaste recherche sur l’histoire du nucléaire pour ce futur Centre de mémoire, avec l’appui du Pays et de l’État. Problème : peut-on faire l’Histoire sans archives ?
Expliquons.
Comme le montre le document ci-dessus émanent du Service historique de la Défense, les archives de la série GR 13 R (nomenclature des archives) ne sont pas communicables.
Or, en 1998, nous avions obtenu du ministre de la Défense, M. Alain Richard, l’autorisation de consulter cette série et d’autres du reste (voir photo). Cette recherche a donné lieu à des publications dans des revues scientifiques d’Histoire militaire (en France et aux États-Unis). Donc avec approbation des forces armées. Du reste, l’Amiral Jean Moulin avait tenu à nous féliciter publiquement lors d’une conférence à l’UPF en 1999. Une large part des archives du CEP est donc dans le domaine public, nos articles et ouvrages étant en librairies.
Notre surprise fut grande, en 2013, quand nous demandâmes à consulter une nouvelle fois ces archives pour procéder à des vérifications : le "secret Défense" nous fut opposé.
Que s’était-il passé entre deux ? La réponse avait été donnée lors des états généraux de l’Outre-mer tenus à Papeete en 2009. Dans l’atelier 7, présidé par Patrick Howell et consacré au nucléaire, nous apprîmes que la loi 2008-696 du 15 juillet 2008, si elle avait facilité l’accès à certaines archives, avait rendu la communication d’autres archives plus difficile. Ainsi, n’ont pas été déclassifiées certaines archives, qui ne portaient pas atteinte à la dignité des personnes ou à la sûreté de l’État, sans qu’on sache réellement la raison de la non-communication.
Monsieur le président de la République, si vous voulez que le Centre de mémoire du nucléaire projeté en Polynésie soit crédible (c’est-à-dire que vous, Président, soyez crédible), il est impératif que vous mettiez fin à cette anomalie du grand retour en arrière de la transparence des Armées. Vous avez auprès de vous un homme qui soutient votre démarche de politique générale, M. Alain Richard qui, en 1998, nous autorisa à consulter les archives du CEP. Comment vous et lui pourriez-vous justifier qu’elles soient aujourd’hui interdites aux chercheurs ?
Un sociologue du CNRS, Yannick Berthe, avait dit, au moment du vote de la loi de 2008 ci-dessus évoquée, que le secret absolu (la non-communication des archives) forçait le bavardage. Du bavardage, vous en entendrez en venant visiter la Polynésie. À qui la faute ? n

Edito





























