"J’ai vu la joie finir par submerger des dépressifs dont la taille s’est affinée au fil des répétitions. S’y tonifient et s’y allègent de 10 à 15 kg des filles et garçons de tous âges. Ils dansent, miment, chantent un récit héroïque, légendaire, ancestral ou contemporain, se réapproprient un peu de langue maternelle et/ou paternelle." Crédit photo : ’Anapa Production
Nos comportements ne cessent de m’interpeller tant est puissante l’incitation au déni, à l’oubli du passé que l’on reconstruit sans se soumettre à l’élémentaire effort inhérent à toute culture, qu’il s’agisse de celle culturale du taro et des tomates ou culturelle de la langue, des récits, chants, danses, soins et discours.
M’étonne aussi l’attitude de nos gouvernants à agir et parler comme si tout commençait avec elle ou lui. Forte est la tendance à ignorer les travaux des prédécesseurs pour se présenter en novateur, au lieu de continuateur d’une lignée où erreurs et succès ont inévitablement alterné.
Parfois, il ou elle arrive dans un secteur où, sans se poser de questions sur l’existant, sans chercher à connaître l’importance des investissements humains et financiers déployés, ça démantèle des équipes performantes. Pour se rassurer sur leur position de chef de qui tout doit émaner ? La volonté de destruction est d’autant plus forte que l’équipe est menée par une ou un cadre local estimé par ses pairs nationaux et les administrés. Alors tant pis pour la raison d’être et la qualité du service ou de l’institution détruits. L’important est de flatter son ego. Puis, après avoir promu un proche, dont l’incompétence finit par déranger, ça nomme un cadre métropolitain qui ignore tout de leurs faiblesses et leur fait vivre une jubilatoire inversion des rôles. Surtout si leur précédente situation était subalterne maquillée en "injustice coloniale"…
Dans mes tribulations en administration territoriale, j’ai aussi constaté la tendance de certains à se poser en experts tous azimuts, en développant un remarquable raffinement dans la persécution psychologique envers les pro.
Un temps, j’ai dirigé la Délégation à l’environnement, où des personnels dévoués avaient, entre autres, réalisé d’intéressantes études sur les déchets. Avec pour résultat : "Nos déchets les plus difficiles à traiter et les plus nombreux sont importés. Donc : traitons nos importations, refusons et renvoyons tout ce qui est déchet avant dédouanement et instaurons des filières de traitement avant la mise des produits sur le marché."
Élémentaire. Non ? Trop simple sans doute. J’en conclus que l’Environnement est un lieu où s’affrontent des intérêts contradictoires puissants. En l’absence de volonté politique de gestion de l’Environnement, j’y perdais mon temps. Nommée à différents postes successifs, partout je me suis heurtée aux multiples formes d’expression de l’angoisse fondamentale des politiciens : la peur de perdre son siège, associée au désir forcené d’être applaudi.
Nommée P-dg de la SCEP (Société pour la commercialisation et l’exploitation du poisson, ndlr), la mise en œuvre des résultats des études de la Délégation à l’environnement me fut refusée. Je me devais de dire "Amen" à l’auto-investi Omniscient Grand Rudologue (rudologie = science du traitement des déchets). Il fit ériger le puant Centre de tri et de transfert des déchets ménagers à l’entrée du port de Papeete ! Déprimant !
Après avoir atterri dans une autre institution tout aussi désespérante où un troisième audit surréaliste de l’Inspection générale de l’administration s’y déploya, j’en partis.
Je m’attelai alors à l’étude des soins traditionnels polynésiens pour laquelle durant plus de dix ans, je fus régulièrement sollicitée par des élus et la Direction de la santé. Dès que je m’y attaquai, cela n’intéressa plus personne. Pourtant, s’y trouvent les clefs pour une bonne santé aujourd’hui. Relisons les navigateurs : "les insulaires avaient très peu de maladies." La seule contagieuse était la filariose due aux moustiques des marécages inoculant une filaire se logeant dans les canaux lymphatiques et s’y manifestant de manière chronique (māriri) ou permanente (éléphantiasis = fe’efe’e).
Pour lutter contre les morbidité et mortalité des maladies dues aux mauvais comportements, les Anciens avaient instauré une société aux rituels d’hygiène, activités, contraintes et conventions efficaces. Le principe du don et du contre-don régissait les relations humaines. Un don contraint le donataire à accepter le don et à devenir à son tour donateur d’un don de valeur identique ou supérieure à celui reçu. Aussi, chacun devait veiller à sa santé pour être capable de produire afin d’entrer dans
le vertueux et dynamique cercle d’échanges. Cette société n’ayant pas les moyens du laisser-aller et de l’irresponsabilité, elle combattait l’oisiveté. Pour quiconque s’y complaisait, c’était la déchéance en ’Aiha = Débris, méprisé comme paresseux ’Aihamu = mangeur de restes.
Tous les "découvreurs" ont décrit des populations dynamiques, belles et en bonne santé. Les maladies contagieuses introduites involontairement par les Européens, (tuberculose, syphilis, rougeole, dysenteries, grippes, etc.) ont failli faire disparaître les insulaires de la surface de la Terre. Les soins traditionnels furent impuissants devant ces calamités qui ont sévi durant deux cents ans. Aujourd’hui, ces fléaux sont contrôlés grâce aux vaccins et à la médecine moderne.
Mais aucun vaccin, aucune potion, aucune plante médicinale, aucun massage, aucune piqûre, aucun comprimé, ne peut contraindre quiconque à arrêter de fumer, boire, s’empiffrer de sucreries, se droguer et rester avachi toute la journée. Il doit être fait appel à son intelligence, sa conscience, à l’estime de soi, au sens de la responsabilité quitte à secouer, contraindre en créant le manque qui pousse à agir. Satisfaire un besoin avant même la prise de conscience de l’existence de ce besoin, peut transformer le bénéficiaire adolescent ou adulte en capricieux ingrat irresponsable.
Les anciens Polynésiens ont apprivoisé une nature sauvage pour en faire un jardin nourricier. Ils ont su s’organiser pour que les comportements sociaux se plient à la nécessité imposée par un milieu géographique tropical, aux ressources limitées, dont chacun devait bénéficier selon ses mérites, plus que selon ses besoins. Le besoin entraîne la production de biens. Ces biens pouvaient être matériels, mais aussi immatériels, comme la danse, le théâtre, l’enseignement, le chant, la musique, le sport, les poèmes épiques et autres formes de récit.
Aujourd’hui, quand bien même si à l’international certains se mitonnent de jolies pelotes financières, ici, les "créateurs" – musiciens, chefs de groupes, auteurs, chorégraphes, danseurs et danseuses – subissent toujours une forme de condescendance. Pour avoir participé à la réalisation de trois spectacles de Heiva i Tahiti, j’ai vu la joie finir par submerger des dépressifs dont la taille s’est affinée au fil des répétitions. S’y tonifient et s’y allègent de 10 à 15 kg des filles et garçons de tous âges. Ils dansent, miment, chantent un récit héroïque, légendaire, ancestral ou contemporain, se réapproprient un peu de langue maternelle et/ou paternelle. Cela ne mérite-t-il pas une considération comparable à celle accordée aux sports importés aux personnels respectés et dotés de salles d’entraînement et d’expression avec éclairage, toilettes et douche ?
Pour l’heure, la culture se rabat sur des parkings mal éclairés au sol rugueux, sans commodité, d’où elle est chassée pour errer vers un autre parking, etc. Malgré des résultats probants, elle est exclue des programmes de santé publique !
Chers gouvernants, ouvrez donc les yeux sur nos trésors.
M’étonne aussi l’attitude de nos gouvernants à agir et parler comme si tout commençait avec elle ou lui. Forte est la tendance à ignorer les travaux des prédécesseurs pour se présenter en novateur, au lieu de continuateur d’une lignée où erreurs et succès ont inévitablement alterné.
Parfois, il ou elle arrive dans un secteur où, sans se poser de questions sur l’existant, sans chercher à connaître l’importance des investissements humains et financiers déployés, ça démantèle des équipes performantes. Pour se rassurer sur leur position de chef de qui tout doit émaner ? La volonté de destruction est d’autant plus forte que l’équipe est menée par une ou un cadre local estimé par ses pairs nationaux et les administrés. Alors tant pis pour la raison d’être et la qualité du service ou de l’institution détruits. L’important est de flatter son ego. Puis, après avoir promu un proche, dont l’incompétence finit par déranger, ça nomme un cadre métropolitain qui ignore tout de leurs faiblesses et leur fait vivre une jubilatoire inversion des rôles. Surtout si leur précédente situation était subalterne maquillée en "injustice coloniale"…
Dans mes tribulations en administration territoriale, j’ai aussi constaté la tendance de certains à se poser en experts tous azimuts, en développant un remarquable raffinement dans la persécution psychologique envers les pro.
Un temps, j’ai dirigé la Délégation à l’environnement, où des personnels dévoués avaient, entre autres, réalisé d’intéressantes études sur les déchets. Avec pour résultat : "Nos déchets les plus difficiles à traiter et les plus nombreux sont importés. Donc : traitons nos importations, refusons et renvoyons tout ce qui est déchet avant dédouanement et instaurons des filières de traitement avant la mise des produits sur le marché."
Élémentaire. Non ? Trop simple sans doute. J’en conclus que l’Environnement est un lieu où s’affrontent des intérêts contradictoires puissants. En l’absence de volonté politique de gestion de l’Environnement, j’y perdais mon temps. Nommée à différents postes successifs, partout je me suis heurtée aux multiples formes d’expression de l’angoisse fondamentale des politiciens : la peur de perdre son siège, associée au désir forcené d’être applaudi.
Nommée P-dg de la SCEP (Société pour la commercialisation et l’exploitation du poisson, ndlr), la mise en œuvre des résultats des études de la Délégation à l’environnement me fut refusée. Je me devais de dire "Amen" à l’auto-investi Omniscient Grand Rudologue (rudologie = science du traitement des déchets). Il fit ériger le puant Centre de tri et de transfert des déchets ménagers à l’entrée du port de Papeete ! Déprimant !
Après avoir atterri dans une autre institution tout aussi désespérante où un troisième audit surréaliste de l’Inspection générale de l’administration s’y déploya, j’en partis.
Je m’attelai alors à l’étude des soins traditionnels polynésiens pour laquelle durant plus de dix ans, je fus régulièrement sollicitée par des élus et la Direction de la santé. Dès que je m’y attaquai, cela n’intéressa plus personne. Pourtant, s’y trouvent les clefs pour une bonne santé aujourd’hui. Relisons les navigateurs : "les insulaires avaient très peu de maladies." La seule contagieuse était la filariose due aux moustiques des marécages inoculant une filaire se logeant dans les canaux lymphatiques et s’y manifestant de manière chronique (māriri) ou permanente (éléphantiasis = fe’efe’e).
Pour lutter contre les morbidité et mortalité des maladies dues aux mauvais comportements, les Anciens avaient instauré une société aux rituels d’hygiène, activités, contraintes et conventions efficaces. Le principe du don et du contre-don régissait les relations humaines. Un don contraint le donataire à accepter le don et à devenir à son tour donateur d’un don de valeur identique ou supérieure à celui reçu. Aussi, chacun devait veiller à sa santé pour être capable de produire afin d’entrer dans
le vertueux et dynamique cercle d’échanges. Cette société n’ayant pas les moyens du laisser-aller et de l’irresponsabilité, elle combattait l’oisiveté. Pour quiconque s’y complaisait, c’était la déchéance en ’Aiha = Débris, méprisé comme paresseux ’Aihamu = mangeur de restes.
Tous les "découvreurs" ont décrit des populations dynamiques, belles et en bonne santé. Les maladies contagieuses introduites involontairement par les Européens, (tuberculose, syphilis, rougeole, dysenteries, grippes, etc.) ont failli faire disparaître les insulaires de la surface de la Terre. Les soins traditionnels furent impuissants devant ces calamités qui ont sévi durant deux cents ans. Aujourd’hui, ces fléaux sont contrôlés grâce aux vaccins et à la médecine moderne.
Mais aucun vaccin, aucune potion, aucune plante médicinale, aucun massage, aucune piqûre, aucun comprimé, ne peut contraindre quiconque à arrêter de fumer, boire, s’empiffrer de sucreries, se droguer et rester avachi toute la journée. Il doit être fait appel à son intelligence, sa conscience, à l’estime de soi, au sens de la responsabilité quitte à secouer, contraindre en créant le manque qui pousse à agir. Satisfaire un besoin avant même la prise de conscience de l’existence de ce besoin, peut transformer le bénéficiaire adolescent ou adulte en capricieux ingrat irresponsable.
Les anciens Polynésiens ont apprivoisé une nature sauvage pour en faire un jardin nourricier. Ils ont su s’organiser pour que les comportements sociaux se plient à la nécessité imposée par un milieu géographique tropical, aux ressources limitées, dont chacun devait bénéficier selon ses mérites, plus que selon ses besoins. Le besoin entraîne la production de biens. Ces biens pouvaient être matériels, mais aussi immatériels, comme la danse, le théâtre, l’enseignement, le chant, la musique, le sport, les poèmes épiques et autres formes de récit.
Aujourd’hui, quand bien même si à l’international certains se mitonnent de jolies pelotes financières, ici, les "créateurs" – musiciens, chefs de groupes, auteurs, chorégraphes, danseurs et danseuses – subissent toujours une forme de condescendance. Pour avoir participé à la réalisation de trois spectacles de Heiva i Tahiti, j’ai vu la joie finir par submerger des dépressifs dont la taille s’est affinée au fil des répétitions. S’y tonifient et s’y allègent de 10 à 15 kg des filles et garçons de tous âges. Ils dansent, miment, chantent un récit héroïque, légendaire, ancestral ou contemporain, se réapproprient un peu de langue maternelle et/ou paternelle. Cela ne mérite-t-il pas une considération comparable à celle accordée aux sports importés aux personnels respectés et dotés de salles d’entraînement et d’expression avec éclairage, toilettes et douche ?
Pour l’heure, la culture se rabat sur des parkings mal éclairés au sol rugueux, sans commodité, d’où elle est chassée pour errer vers un autre parking, etc. Malgré des résultats probants, elle est exclue des programmes de santé publique !
Chers gouvernants, ouvrez donc les yeux sur nos trésors.

Edito





























